Jeanne Benameur, Ceux qui partent

Exil, sensibilité, féminité…

Ces mots se bousculent pour traduire l’intensité d’une émotion ressentie à la lecture du roman de Jeanne Benameur, Ceux qui partent. Ellis Island, début du XXè, dans l’entre-deux-guerres. Le Nouveau Monde est de l’autre côté des formalités à accomplir. On a tout quitté, douleurs, massacres, ou vie aisée… Il faut tout reconstruire. « On émigre : on espère. » (p. 66)

Nous entrons dans l’intimité des personnages et tout s’entremêle. Tour à tour l’une ou l’autre, l’un ou l’autre, dans une écriture qui enveloppe avec beaucoup de délicatesse. Le temps subit un ralentissement dans l’attente du feu vert qui permettra une nouvelle amorce. Une jeune Italienne, son père, veuf ; une rescapée arménienne ; un jeune homme du voyage ; un jeune Américain, issu des premières migrations… Et d’autres encore, de cœur, de pensées et de chair. « Le temps parfois rassemble dans le même sablier tant de choses éparses. » (p.177) De destinées aussi…

L’intrigue se noue. Plus que tout, nous faisons corps et âme avec chaque personnage dans la subtilité d’une sensibilité féminine, celle de l’auteur, à même de traduire ces univers intérieurs.

Voudrait-on mener sa vie sur les chemins de la certitude que l’on est vite pris au dépourvu.

Temps ralenti, attente avant l’entrée dans un monde nouveau, lieux clos, envoûtement de la nuit, plénitudes charnelles, de l’autre côté de l’exprimable…

« Chacun (…) sur sa route. »

Et le monde , « un monde qui sait que rien n’appartient à personne sur la terre, sauf la vie. » (p.327)

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

15 janvier 2020

Jeanne Benameur, Ceux qui partent, Actes Sud 2019 – ISBN : 978-2-330-12432-8