Souviens-toi de Giovanni…

Le Royaume-Uni a de quoi épater.

Il n’est pas si loin le temps de Margaret Thatcher cassant toute l’industrie anglaise, favorisant les délocalisations à outrance, privatisant à mort les chemins de fer et autres joyeusetés dont ce pays mesure aujourd’hui la nuisance boomerang.

A l’heure du Brexit voilà que le gouvernement de Boris Johnson annonce qu’il pratiquera désormais l’immigration sélective : compétences et maîtrise de l’anglais seront les premières clefs d’entrée. Et son gouvernement de préciser : « Les ministres affirment qu’ils appliquent le Brexit demandé par l’électorat – et disent qu’il est temps pour les entreprises de se détourner de la main-d’œuvre immigrée bon marché. » (d’après Le Guardian – 19 février 2020)

Fichtre ! On s’était habitué jusque-là à exploiter les employés peu ou pas qualifiés en leur condescendant des clopinettes (du moins c’est ce qu’on comprend) ou bien encore à profiter de l’exploitation transplantée ailleurs – mondialisation le permettant ; on pratiquerait désormais le repli régénérateur à meilleure reconnaissance ajoutée ?

Allons-nous assister à la prise de conscience de l’importance d’une masse salariale décente pour qu’un pays fonctionne ? Les Anglais nous dameront-ils le pion une nouvelle fois ?

« La Grande-Bretagne va fermer ses frontières aux travailleurs non qualifiés et à ceux qui ne parlent pas anglais dans le cadre d’une révision fondamentale des lois sur l’immigration qui mettra fin à l’ère de la main-d’œuvre bon marché de l’Union Européenne dans les usines, les entrepôts, les hôtels et les restaurants. » lit-on encore dans le Guardian.

« My tailor is rich » apprenait-on autrefois. Aurait-on imaginé qu’en France ce même tailleur pût s’en mettre plein les poches ? Sans doute se sera-t-il trouvé depuis de part et d’autre de la Manche en calebar made in Asia. Mais sur quelle base déclarer la compétence ? Le diplôme ? De nouvelles perspectives s’ouvrent pour le marché noir des fausses qualifs. De surcroît si les papiers étaient la panacée, il y a belle lurette qu’on aurait fait mieux que les Anglais. Combien de détenteurs de beaux écrits brevetés se seront révélés dans la pratique de sérénissimes incompétents !

Mais qui fera fonctionner les terrasses des cafés, qui assurera la plonge dans les restaurants, qui changera les draps dans les hôtels, qui se coltinera tous les travaux ingrats dans les champs, qui remplira les étagères dans les supermarchés ? On a beau être Anglais, on peut être inquiet, surtout si l’on est patron.

Bref, il sera sage d’observer attentivement ce qui se passera chez ceux qui ont su envoyer un jour dans le Nouveau Monde un Italien à leur botte, Giovanni Caboto anglicisé in petto en John Cabot.

Car l’inimaginable peut survenir de ce qui peut prendre l’Union européenne… au débotté…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

19 février 2020