De l’essentiel

La mise en oeuvre auto-gestionnaire immédiate par la population du principe de précaution, pour répondre au “trou dans la raquette” dont on aura pu mesurer le préjudice le 22 janvier 2021, aura été bonne, chacun prenant sa décision sur la base de paramètres jugés adéquats.

Par-delà cette situation, il est une classification qui aura retenu mon attention depuis le début de la crise épidémique du début de l’année 2020, en métropole, reprise en ce mois de janvier 2021 à Saint-Pierre et Miquelon, la notion de services, commerces, « non-essentiels ».

Les mots ne sont jamais neutres. La réflexion ci-dessous dépasse l’immédiateté des décisions prises localement que l’on comprend aisément.

N’est-il pas tentant pour chacun d’entre nous de considérer que l’autre n’est pas essentiel, tant qu’on ne remet pas en cause son propre statut ?

Que sait-on du quotidien de chacun dans les fonctions qui lui sont attribuées ? Tel bureau : non-essentiel. Tel commerce : non-essentiel. Tel café, tel restaurant : non-essentiels. Tel lieu de spectacles : non-essentiel car s’asseoir devant la télé est devenue une norme comportementale. Tel artiste : non-essentiel car on peut se laisser porter par le flot ininterrompu du streaming. Tel artisan d’art : non-essentiel, même s’il ouvre la porte de la beauté ?

L’épidémie, par ses épisodes de confinement, le matraquage de la peur, aura entraîné un repli considérable sur soi et atrophiant. Il est des effets dont on prendra un jour peut-être la mesure dans notre communauté insulaire alors que nous n’aurons pas eu à subir le même étouffoir qu’en métropole.

Le monde d’avant la crise nous propulsait dans l’oubli de l’autre. La crise, paradoxalement, nous amène à un retour sur l’importance de l’interaction sociale. Individus, nous sommes avant tout partie prenante des relations au sein de nos sociétés. Le virus nous rappelle que nous faisons partie aussi d’une espèce, elle-même partie prenante du vivant. Non, nous ne sommes pas les champions de l’existant, si ce n’est de l’inconscience planétaire à l’égard de la biosphère.

Qui et au nom de quel repère peut définir ce qui est essentiel ou pas ? Je peux préférer avoir la tête dans les nuages pour échapper à ce qui m’oppresse ; avoir une bonne paire de pompes peut m’éviter de m’auto-casser la margoulette. Un robinet qui fuit peut nous rappeler la fragilité de notre existence.

La vie est dans l’interdépendance de tous ces essentiels qui peuvent nous échapper. C’est en oubliant tout cela que les fers de lance de l’idéologie néo-libérale, auront précipité, par les fermetures insupportables dans la durée, tout un pays fragilisé par la désindustralisation et la casse des services publics, dans un état névrotique dont il sera difficile de se remettre.

Face à une situation de crise, les attitudes figées sont mortifères. Savoir se remettre en question régulièrement pour ajuster ce qui doit l’être ouvre le champ de la vie.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

28 janvier 2021