Djamel Cherigui, La Sainte Touche

J’suis pas tellement accro de la télé-platitude surtout quand tu as un gonze aseptisé qui te débine ce que tu dois faire en bon toutou d’une vie placardée à haute valeur ajoutée. Mais il arrive que je dévie de mon accoutumance à phosphorescence décalée et c’est dans ce genre d’aparté que je suis tombé sur un épisode de la Grande Librairie sous la houlette de François Busnel… Ça peut donner le tournis quand il y a soudain un tas de bouquins que tu as envie de t’offrir et que tu réalises le prix de l’insularité à haute différence du prix unique amplifié. Bref, ce soir-là j’ai été captivé par un épicier de métier, devenu écrivain à la force de son imaginaire ; ça m’a attiré et je me suis plongé dans le roman La sainte Touche de Djamel Cherigui.

Et là, mon pote, si tu permets, j’ai été conquis. Du langage comme je l’apprécie, sorti de sa gangue ordinaire, et qui te renouvelle l’art du récit avec aisance et belle rythmique, langue populaire, maîtrisée et riche en évocations. Te voilà au contact de « rebuts de la société, âmes damnées, perdants de la mondialisation. » C’est sûr que ça change de la calebasse aseptisée de ceux qui prennent un malin plaisir à t’entuber. J’avais à peine entamé le récit que j’en étais déjà à 10% de lecture de l’ensemble, c’est te dire.

Et j’ai poursuivi sur la même lancée. Punaise ! Un bouquin bien écrit, bien ficelé, je te dis, ô ours mal léché qu’un clignement d’étoile attendrit. Ah ! Tu veux en savoir plus ? Mais je ne suis toute de même pas payé par l’éditeur pour faire sa pub. Bon, c’est d’accord, je poursuis. C’est qu’il y en a eu de l’observation de terrain pour nous transmettre tout un univers que tu en prends plein la caboche, le citron ou la poire, comme tu préfères. J’ai eu une interférence de pensée avec l’écriture d’Alphonse Boudard, comme des zébrures d’enchantement qui sont au coeur de la magie de la lecture, avec les chansons de Pierre Perret, mais surtout avec Louis-Ferdinand Céline dans Mort à crédit.

Cela change, je te l’assure, des plateaux ripolinés où des troncs cravatés se la jouent à là c’est pas de ma faute, mais c’est à cause de lui que vous l’avez dans le troufignon, quand tu vois bien que de toute façon tout se déglingue dans cette tournante des faux-derches.

Ici, c’est un roman dans le pays des ch’tis. Et bien écrit. Un premier, une réussite. Y a pas eu besoin de La méthode à Mimile pour y arriver, ça c’est sûr. C’est direct, ça uppercute… On est dans le milieu des toxicos, des pochtrons, des damnés de la terre des « foireux de la vie » (chapitre 20). Dans l’inattendu, on assiste au jeu de l’écriture romanesque sur des plans différents, comme pour un chœur avec plusieurs pupitres différents. Du grand art, une belle maîtrise. « Faut dire que rester planté pendant des heures, derrière un comptoir, ça développe l’imaginaire. » (chapitre 10) On acquiesce.

Et fallait pas que j’oublie, par rapport aux plateaux rase-noix, le roman te vaporise beaucoup d’humour.

Par ces temps qui stagnent, tu te fais la malle hors de ta bulle.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

6 mai 2021

Djamel Cherigui, La Sainte Touche – Editions Jean-Claude Lattès – 2021 – ISBN : 978-2-7096-6731-9