Jean Lebrun, Ici Saint-Pierre et Miquelon

L’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, la France en Amérique du Nord, est un microcosme ; il peut même servir à l’occasion de laboratoire. Un microcosme dont le sort recoupe aussi l’Histoire, celle que l’on retient à une échelle plus grande.

1941 a été une date pour le démontrer. Et Jean Lebrun dans Ici Saint-Pierre et Miquelon de revenir sur une page qui aura fait date dans un rapport étrange entre géants et lilliputiens.

Contexte géographique et historique rapidement campé en quelques pages où convergent l’homme de radio et l’historien dans une belle mise en forme expressive, on en arrive rapidement au cœur du sujet, la période où vont se cristalliser de terribles déchirements quand éclatera la deuxième guerre mondiale.

Jean Lebrun a l’art de redonner vie aux personnages, dont le gouverneur Gilbert de Bournat « noble très attaché à ses responsabilités sociales » (p.34) au « nœud papillon » qui « ressemblait à une hélice ». (p.34)

Le lecteur ne peut qu’être frappé par les axes de développement mis en oeuvre et envisagés alors qui font écho au temps présent. Je ne peux m’empêcher de penser à l’observation d’un ami, un jour en responsabilité sur nos îles et qui me disait : « A Saint-Pierre, faut pas que ça marche… » Et de lire sous la plume de de Bournat : « Je suis dans un pays où le montage de la plus petite affaire se heurte à toutes sortes de difficultés invraisemblables. » (p.38)

On comprend mieux aussi pourquoi nos îles furent plus déchirées que ne le laisse penser le plébiscite à l’arrivée des Forces françaises libres. Gilbert de Bournat se donnait corps et âme à l’archipel pour le sortir du désastre économique qui avait prévalu au sortir du temps “béni” de la Prohibition. (p.39) Ce livre, au format agréable, que l’on tient bien en mains, se lit comme un roman, comme un polar ou un récit d’aventures. Le rythme est soutenu ; Jean Lebrun a l’art de nous tenir en haleine.

Il est bon de dépasser les visions binaires et l’auteur y apporte une contribution vivifiante ; dans les rendez-vous avec l’exceptionnel, la complexité des rapports humains se révèle vite. Me revient une observation de Pascal, de mes années lycéennes : « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. »

Puis survient la décision de De Gaulle et l’acteur providentiel : « Cette occasion se présenta sous les traits de l’Amiral Muselier ». (Citation de De Gaulle, reprise page 50) Et les surprises ne manquent pas dans ce que nous rapporte Jean Lebrun avec précision où la pointe d’humour ne fait pas défaut. Par-delà la vision de l’événement localisée sur l’archipel, le “coup de Saint-Pierre” met en lumière des « clivages » relevant d’une autre dimension stratégique et politique provoquant l’émoi des dirigeants anglais, canadiens et américains. Le petit David secouait soudain le cocotier de plusieurs Goliaths en plein conflit mondial. “Pas une paille”, comme on dit sur nos îles. Effet papillon, pourrait-on dire encore quand on se penche sur la rivalité qui en résultera entre Muselier et De Gaulle. (chapitre IX)

Oui, ô lecteur mathurinien, tu le sais depuis le premier mot de cette chronique, ce livre, dense et précis dans ses éclairages, retient l’attention et se dévore, se déguste, même s’il touche inéluctablement des sensibilités qui se transmettent comme des gènes.

Ici Saint-Pierre et Miquelon… On vibre autant qu’aux premiers mots soudain perçus sur un poste à galène…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

9 mai 2021

Jean Lebrun, Ici Sant-Pierre et Miquelon, Essais & Cie, Bleu Autour – 2021 – ISBN : 978-2-35848-155-7

Disponible à la librairie Lecturama