Jonathan Coe, Le cœur de l’Angleterre

Il est amusant de te confier, ô lecteur, qu’il est un pays où je me sentais bien, du temps des voyages que l’on pouvait tisser sans fil et sans aiguille…

— L’Angleterre !

Londres, certes, mais pour ce que j’en connais, d’autres lieux aussi en ce pays.

Quel plaisir, quel enchantement, lors de mes séjours dans la capitale, que de franchir les portes de la National Gallery ! Il est deux peintres que je vais admirer à chaque visite, avant toute autre découverte, Turner, bien sûr et Constable.

Il est vrai que c’était avant que Boris Johnson et le SARV-Cov2 arrivent au pouvoir.

Le hasard a voulu que je me sois plongé dans le roman de Jonathan Coe, Le coeur de l’Angleterre, paru au Livre de poche. Le personnage principal, en début de roman, a élu domicile dans la campagne, en un lieu qui fait penser aux tableaux de… Constable, précisément, c’est te dire si nous pénétrons… au coeur de l’Angleterre.

Pourtant nous ne sommes plus au XIXè siècle, mais au début du récit en avril 2010, un moment de l’Histoire proche de nous quand tout bascule en ce pays avec la chute des travaillistes, le peuple étant étreint par un « sentiment d’injustice larvé, cette rancœur contre une élite politico-financière qui avait volé les gens comme au coin d’un bois en toute impunité. » (Chapitre 1).

Un mot avant de continuer. Ce roman est d’emblée plein de vie, d’entrain ; les personnages dialoguent ; on entre dans l’étoffe de chaque intervenant, dans des interactions de fibres d’humanité ; en résulte une forte interaction avec le lecteur.

Repli sur soi dans une identité réductrice contre ouverture aux autres dans la richesse des différences – « ligne de fracture abyssale » (chapitre 11) -, ces thèmes sont au cœur du récit et s’ancrent avec force dans une actualité qui nous saisit. Jonathan Coe a l’art de nous plonger dans une Histoire en marche avec une grande maîtrise de donner corps, consistance et allant à un roman. Il est captivant par exemple de vivre à travers les personnages, mués en téléspectateurs, la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 2012. On s’y croit vraiment. Magie de l’écriture. Tout comme on accompagne une conférencière d’art à bord d’un paquebot de croisière.

Mais le fil conducteur t’attend au détour du chemin : la réélection du Conservateur David Cameron et la promesse du référendum quant au maintien ou non au sein de l’Union Européenne, la désindustrialisation, la perte des repères traditionnels, l’austérité, les coupes dans les services sociaux, la privatisation de la santé (chapitre 29), puis le Brexit, toute une société déboussolée. Dans un style alerte et grâce à l’approche romanesque on mesure comment on en sera arrivé à la situation que nous connaissons désormais. Et la réflexion de s’étendre à ce que nous vivons nous-mêmes actuellement en France. Croire que demain sera un long fleuve tranquille serait une grosse erreur.

Roman riche en émotions donc, avec vies sentimentales à la clef, des êtres qui sous tes yeux prennent corps et âme… Une belle compensation aux voyage aujourd’hui impossibles. Mais aussi un grand coup dans le plexus pour ouvrir, qui sait ?, les yeux…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

21 mai 2021

Jonathan Coe, Le cœur de l’Angleterre, Gallimard 2019 – ISBN : 9782072922664