Les auteurs de belles chansons peuvent être aussi romanciers. Ainsi en est-il de Lluís Llach, auteur catalan de L’Estaca, L’estaque en français, ode à la liberté que Marc Robine aura lui aussi interprétée.
Le roman Les femmes de la Principal nous invite en Catalogne, en 1940, après la prise de pouvoir par Franco, dans un grand domaine viticole tenu par une femme. Le récit est d’emblée un aller-retour entre ce qui a précédé et ce qui est en cours, dans la transmission entre générations entre figures de femmes de grande personnalité. Maria la Senyora, fille de Maria, la Vieille, mais aussi Ursula, la servante dévouée, la plus ancienne du domaine, nourrice, confidente, mémoire vivante. Puis, Maria, la troisième de la lignée.
Survient, au temps de la deuxième de ces femmes, un commissaire de police, sur les traces d’un meurtre qui a eu lieu, du temps de sa mère, concomitamment avec le déclenchement de la guerre civile. Il veut savoir…
Réalité d’un grand domaine de cette époque, enquête, intimité des personnages, tensions, ressorts psychologiques, Lluis Llach met en œuvre un roman passionnant, dans le déroulé d’une intrigue – sur trois générations de femmes portant le même prénom, Maria -, avec de grandes zones d’ombre. Le roman donne lieu à des retours sur le passé, présentés alors en italique. Car l’histoire des femmes à la tête de l’entreprise où règnent avant tout les hommes recoupe tout un pan de l’Histoire : « elle était une femme, et le vin était le sang d’un monde d’hommes et la plupart du temps de mâles nerveux. » (p.180) On est au cœur d’une Espagne où « la servitude envers Dieu » (p.299) était un asservissement à une politique répressive.
En résulte un récit captivant, finement construit, pages riches d’observations donnant une pleine consistance aux personnages. Le regard de l’auteur est percutant ; l’Histoire est en marche, dans la complexité des ressorts humains ; nous sommes tout autant désarçonnés que l’inspecteur en charge de l’enquête.
On se dit, en arrivant vers la fin, que des parcours humains dans leur complexité, en interaction avec des moments troubles de l’Histoire, échappent au jugement des évidences.
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
27 octobre 2021
Lluís Llach, Les femmes de la Principal – Babel 2019 – ISBN : 978-2-330-12033-7