Il est des livres puissants, comme s’ils portaient au sein de leurs pages l’essence humaine dans sa beauté et ses déchirements, dans la grandeur et dans l’ignoble, dans l’amour et dans la haine, dans le sublime et dans l’horrible…
Il est des livres puissants, dans l’écriture, dans le rougeoiement du Verbe, phrases qui s’enluminent et transportent le lecteur hors de son ordinaire.
Il est des livres puissants quand ces forces convergent et Le blues des phalènes, roman de Valentine Imhof, est de ceux-là. Quatre personnages te captivent successivement. Quatre personnes qu’un monde fou a brisés. Quatre êtres humains ou insectes qu’un monde en marche ignore ou rejette. Monde en marche imprégné de quelle folie ?
Tu te laisses prendre par la narration, ponctuée de courts chapitres qui te tiennent en haleine. Amérique des années trente, principalement, Nouvelle-Ecosse… Mais un grand… déclencheur dans l’éclatement de ces destinées, la grande explosion qui a ravagé la ville d’Halifax en décembre 1917. Le style de l’auteur, dans sa puissance descriptive, te saisit par sa fougue évocatrice. Tu fais corps avec les personnages ; ton regard sur la vie répond à l’invite de la romancière au détour du chemin. La construction du récit en trois volets relève d’une très grande maîtrise dans l’entrelacement des destinées impulsées. « Noir c’est noir / Il n’y a plus d’espoir » chantait Johnny Hallyday… Dans ce roman, paru dans une collection ad hoc, assurément. Mais quel regard sur la société nord-américaine dans ses turbulences de la première moitié du XXè siècle avec ses prolongements aujourd’hui : laissés pour compte, espérances, désespoirs, violence, racisme, signes annonciateurs d’un nouveau conflit … Me trouvant un jour au Havre, lors d’une cérémonie du 18 juin, on me fit observer que l’immense place devant la mairie, superbe dans sa planitude étagée, recouvrait un monceau de ruines et vies écrasées, celui de la deuxième guerre mondiale… Sur quoi reposent nos vitrines alléchantes… Valentine Imhof explore ce qui est souvent dissimulé sous les apparences. Voit-on ce qui est sombre ? Une phalène sur un tronc noir ? Sait-on d’ailleurs si ce papillon est masculin ou féminin ? Mes pensées divaguent…
Le suspense est au rendez-vous ; il se construit et s’étoffe au fil des chapitres et trace des sillons dans une Histoire tourmentée alors que « l’humanité patauge dans une obscurité effrayante. » (p.406) Un roman bouleversant de noirceur, qui te captive et te perturbe jusqu’à la dernière page.
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
14 février 2022
Valentine Imhof, Le blues des phalènes – Rouergue Noir – 2022 – ISBN : 978-2-8126-2282-3
Disponible à Saint-Pierre à la librairie Lecturama