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Alexis Gloaguen, Les Veuves de verre

Ne sommes-nous pas en quête des frontières de l’ineffable, du dialogue perdu entre êtres et choses, que maîtrisaient les Indiens de la Côte Ouest du Canada ? Le dernier livre d’Alexis Gloaguen m’aura directement interpellé dès l’ouverture du premier micro-chapitre de l’indicible. « Pour les Indiens de la côte, les frontière étaient irréelles et les mondes perméables ». La magie de l’écriture ne permet-elle pas de briser les barrières de l’impossible apparence ?

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Deuxième chapitre. Nouvelle-Écosse. Mais c’est qu’il nous fait virevolter, le bougre – je parle de l’auteur -, dans son regard avide de découvertes, dans les recoins de nature où le moindre bruissement fait sens. Pas étonnant qu’avec une telle richesse évocatoire ce dernier opus – pourquoi se priver d’un mot porteur de musique ? – ait retenu l’attention de la grande référence du monde de l’édition, Maurice Nadeau, lui qui retient deux livres de surprenance (j’y vais de ce pas pour ce néologisme) par an. Chez Balzac, le pointillisme de la description annonce l’action ; ici, le souci du détail de l’observé, au fil des pérégrinations nord-américaines est l’action même où perle le mystère. L’écriture est enluminure sur le parchemin de l’ineffable, le voir et le respir soudain indissociables (mystère des associations ; résonne en souvenance la voix de Claude Gauthier dans Notre Dame de Pontmain). Ainsi en va-t-il dans le dédale des « rues anciennes de Boston ».

Car le Verbe est caméra que le souffle retient, dans une succession ininterrompue de plans qui infiltrent vos pores. S’y ajoute le son, « dans un bruissement de lisière », au détour de l’aventure et l’observateur créateur se blottit dans le désir de ne rien perturber : « je rêve dans le grésillement du monde », nous dit-il. Et toujours cette oscillation entre plans rapprochés et panoramiques, ressenti de l’abscisse et de l’ordonnée du regard à ras le sol et soudain, perception d’une nouvelle dimension du haut d’un avion qui s’élève ou prépare l’approche vers d’autres terrains. Nous sommes ainsi invités de ville en ville, de forêts en lisières, de lacs en cours d’eau. Et l’on vibre de Boston, et l’on résonne de Moncton, d’Halifax, de New York ou d’Ottawa, entre autres lieux explorés à la Doisneau. Autant d’endroits, autant d’invites à l’imaginaire, autant d’aspirations à se retrouver soi-même.

Alexis Gloaguen sait avec autant de magie nous dévoiler les feuillages et l’âme des villes de pierre et de verre, à travers tous les effets miroir qui dévoilent le sens de la quête toujours renouvelée, puisqu’elle est parcours d’être humain, à l’unité incontournable dans le rapport aux autres. Transparaît là l’âme du philosophe. Je savoure encore, au moment de l’écrit, sa méditation sur l’ennui au bord du boire. Comment ne pas partager ce qu’il ressent au sortir de l’avion qui vous aura fait sortir du cocon insulaire ? Les écrins d’expérience s’enchaînent dans un espace-temps condensé, fruit de parcours sur près de deux décennies de vie à Saint-Pierre et Miquelon comme point d’allers-retours des faisceaux d’exploration. Je goûte comme il se doit l’évocation du Hawker-Siddeley, hier si familier, je m’enivre à mon tour de la « brume d’inconnu » quand on arrive tout à coup en sol continental. Et je médite à mon tour sur les poètes, « Gêneurs de l’Ordre et du Chiffre ».

L’essence du livre qui vous étreint alors est là, courts chapitres savamment agencés, voyages, boulier de cités, regards, précision de l’évocation créatrice et méditation au cœur de l’être. Livre qui agrémentera par sa force d’aspiration une nouvelle exploration, puis encore la suivante. On ne sort pas indemne d’une telle lecture, empreinte de beauté essentielle où les mots ont toute la variété des galets sur le banc de l’infini. Aurais-je imaginé que San Diego en flottaison tectonique puisse permettre les cristallisations de la quête ? « On reste sec à compter la petite monnaie de ses privilèges »… Ainsi naissent les méditations essentielles. « Dans la conscience du séisme, et comme en aval de l’horreur, naîtra la mélodie ».

Au fil des pages, l’avion est le vecteur, le lien et le liant. Ne se transmute-t-il pas en perche de caméraman pour toutes les variations de points de vue, quand le locuteur-peintre-créateur se retrouve soudain confronté à l’ordinaire de son champ visuel de bipède terrestre ? Tantôt dominant des parterres de fleurs, tantôt écrasé par les tours parallélépipédiques des métropoles canadiennes ou états-uniennes. Elles sont le point de fixation, d’articulation, au mitan des récits, ces trois tours de verre du centre de Toronto, imposantes et noires, toutes de verre et vibrantes des temps de l’illusion, veuves d’un humus oublié, « sièges des banques aspirant la substance de la terre ». « Ici montent par échos blancs les voix de la fin de la terre. » « Toute conscience est une autre planète. »…

J’achève ma lecture, pétri d’atmosphères aux variances envoûtantes ; déjà je pars aiguillonné vers les sentiers de mes musicalités adoptives, content d’échapper à l’enfermement de quelque Biodôme, désireux de ne pas connaître le sort de l’ara rouge dans le pressentiment de sa vie illusoire. Alexis Gloaguen, sans le savoir, m’a ré-aiguillé vers des poètes phares. Bel album que celui de Claude Gauthier, L’homme qui passait par là, de 2001 déjà. « Dans ce monde infini nous sommes de passage » dit-il dans Inuksuk. J’ai aussi ressenti le besoin d’une écoute renouvelée de l’album Kanasuta de Richard Desjardins – je te conseille Les veuves, lien magique, je te l’assure – avant de me replonger, c’est sûr, dans un nouveau parcours des Veuves de verre, écrin d’écriture en voyage d’Alexis Gloaguen, sur l’étagère de mes (p)références.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
5 février 2010

Alexis Gloaguen, Les Veuves de Verre, Maurice Nadeau, ISBN 978-2-86231-210-1

Lancement du livre d’Alexis Gloaguen

Disponible à la Librairie Lecturama dès le samedi 20 février 2010

Séances de dédicaces à la librairie Lecturama

 Samedi 27 février 2010 de 10h00 à 12h00

 Samedi 27 février 2010 de 14h00 à 16h00