“Belen, petit bout de soleil”, contes de Francine Girardin-Langlois

Alors que la pêche figure désormais dans les horizons perdus (de vue), qu’un livre de contes à la première de couverture heureuse vienne à paraître, et te voilà dès les premières pages parti pour « une pêche miraculeuse » de l’imaginaire…

« Belen, petit bout de soleil », titre enjôleur pour « 9 récits des îles Saint-Pierre et Miquelon » de Francine Girardin-Langlois, artiste du texte et de l’image, dont la sensibilité picturale se ressent dès les premières lignes « quand les premières lueurs du jouer « pastellisaient » l’horizon de couleurs irisées… » (p. 1) Belen-Nicodème, lutin qui ouvre la voix de l’espérance, contre le mauvais sort.

Comme l’écrit Ginette Urtizbéréa-Le Coadic qui a préfacé le recueil : « Bien qu’imaginaires, ces neuf contes (…) constituent des tableaux, riches en couleurs, tous évocateur de l’archipel… » Et le charme s’opère aisément dans une écriture inter-générationnelle où mousse notre « patois », petites notes de bas de pages éclairant le non-initié. Typographie révélatrice elle-même de la fantaisie à laquelle il fait bon céder pour le plaisir de la rêverie, illustrations de l’auteur semées ici et là avec doigté pour l’accompagner.

Histoire de pêche donc où fleure la nostalgie. Jeu de mémoire et de fantaisie « sur le pont de glace » quand il faisait bon traverser la banquise jusqu’à l’Île aux Marins. Bandes de quartiers qui se défient pour une course sur la glace. Quelques évocations suffisent pour camper les atmosphères qui auront marqué la jeunesse d’un lecteur qui, comme moi, l’a laissée à la traîne au siècle dernier. J’étais du centre-ville à la belle saison, mais de la Butte, en hiver, auprès de mon arrière-grand-mère et la lecture du second conte ravive des souvenirs. Deux bandes rivales donc et qui n’y vont pas de main morte ; il faut bien perpétuer la tradition des divisions ; ça se pratique dès l’enfance, n’est-ce pas ? Mais qu’il advienne un gros pépin et sonnent la solidarité et les retrouvailles. Symbole qu’il fait fait bon parcourir au sortir d’une césure profonde entre deux pans rivaux quasiment égaux de l’archipel un soir d’élection territoriale. Eh oui, mes lectures sont souvent vagabondes. Quoi de mieux qu’un lutin pour éviter de sombrer quand soudain le sol illusoire se déchire ! « En ce temps-là, la ville était divisée en quartiers où les gamins se livraient une « gué-guerre » sans merci ». (p.9)

Fantaisies donc, qu’opèrent les noms de lieux – l’île aux Chiens, l’île aux Marins, les Pieds-Rouges, l’Île au Massacre -, des faits ancrés dans nos mémoires (le naufrage du Transpacific…, sous la houlette de l’auteur qui nous emportent allègrement. Entre drames de la mer et ouvertures heureuses, comme dans le récit bien troussé de « la sorcière de l’Île-aux-Vainqueurs. » Il suffit d’un farfadet pour que soudain l’impensable survienne. Eh oui ! Nous sommes en terre d’écriture. Et celle-ci est alerte. Conte de « la petite sirène » pour toute âme triste dans les chaumières. Humour de l’histoire d’un raz de Marée propre à vous faire entonner « Gare à la vague ! » ; il est des aventures qui nous auront imprégnés. Je me plais, quant à moi, à imaginer un préfet tout penaud devant un farfadet… Te souviens-tu, ô lecteur, d’un ordre d’évacuation en décembre 1991, suite à une annonce de tsunami qui se révéla être une supercherie ? N’étions-nous pas alors au cœur d’un conte à nous tenir bien éveillés ? Portes ouvertes pour l’écriture, assurément.

« Chacune des situations présentées nous entraîne dans des époques plus ou moins lointaines et mêle événements de la vie réelle et aventures extraordinaires, emplies de fantaisie », souligne Ginette Urtizbéréa-Le Coadic dans sa préface. Et l’on ne peut que s’y ressourcer avec délectation, quel que soit l’âge. Sans doute l’auteur a-t-il trouvé là un ton qui pourra satisfaire de multiples curiosités. Les thèmes font sens, immédiatement, que l’on évoque encore un « bal masqué », les « buttereaux », la dune ou Galantry. J’ai apprécié qu’on entre ainsi dans un imaginaire qui transcende ce que l’on sous-estimerait dans l’ordinaire de notre quotidien. Voir au-delà de l’évidence, beau rôle que celui de l’écrivain. Le vécu est insulaire et alimente nos fibres. Qu’est-ce qu’un patrimoine qu’une perpétuelle ré-écriture ? Francine Girardin-Langlois y apporte sa patte. J’ai souri de ces rivalités qui se déploient encore un jour de Carnaval à la Salle des Fêtes, « loges » pleines à craquer, comme du temps où ce haut lieu municipal avait encore ses galeries. Une histoire de « roi soleil » à décrocher la lune… Mon côté diablotin, sans doute. Coutumes, traditions, atmosphères, le menu est copieux et l’on savoure ce temps passé à divaguer dans un univers où l’on se retrouve. Pourquoi ne pas céder alors à une étrange « nuit dans les buttereaux » ? Auparavant, on aura goûté au doux farniente d’une journée dans un creux de dune par un jour de brume de capelan évoqué avec finesse. J’ai suivi ces enfants humant « à la brise légère une senteur qui donne soudain envie de pain »… Puis vient la nuit : « le ciel a sombré sur les dunes en faisant éclater les étoiles par milliers »… Place au mystère…, dans un « univers poétique ». Nous passons comme par magie d’un tableau impressionniste à un récit d’aventure… Un conte qui, tant dans sa construction que dans l’écriture, avec celui de « la sorcière de l’Île-aux-Vainqueurs » m’aura particulièrement accroché. Tout comme « Géraut de Galantry » qui mérite amplement sa part d’adhésion. C’est qu’on prend de l’altitude « à califourchon sur le septième rayon » du phare, ayant pris à mon tour le « train de lumière ». Et l’on vibre intensément quand s’effondrent soudain les briques de Galantry ; je me suis plu à tresser la symbolique, en fin de récit, de la parole retrouvée.

Car ces contes favorisent les rêveries du lecteur, ancrés comme ils le sont, dans ce qui nous transcende. Là réside la magie de ce lutin qui rebondit de l’un à l’autre, quelle que soit la saison, prêt à répondre à nos imaginaires personnels. Tout lecteur y trouvera son compte avec bonheur.

À se laisser emporter vers « le trésor de la dune », sur « la Route de la Liberté »… Quand guette l’imprévu… vers « un pont de lumière… »

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
20 mars 2012

Francine Girardin-Langlois, Belen, petit bout de soleil – ISBN : 978-2-7466-4062-7

Disponible à la Librairie Lecturama