J’ai savouré Belle-Île aux Poissons-Rames…

Ressentir le parfum de la brise insulaire au gré des âmes partagées… Locmaria, Belle-Île-en-mer, havre de chaleur, d’amitié, d’écoute, porte ouverte pour le déploiement de l’absolu. Aurai-je goûté soudain au temps suspendu ? Fibre du bonheur dans les regards de nos hôtes, Jeanine et Ricardo, roman transcendé dans la vie, tout bonnement, entre une Belle-Isloise – nom enluminé, s’il en est – et un Portugais, dorissier à 18 ans des Bancs de Terre-Neuve, élu Bel-Islois par la magie du cœur.

Ai-je été surpris en me trouvant accueilli Rue des Acadiens, moi qui ne crois pas à l’antériorité de l’écrit astral pour tout ce que réserve la vie dans le hasard des grandes transmutations, de l’ordinaire à la Beauté ? C’était mon deuxième séjour à Belle-Île en quelques mois d’intervalles.

Me voici à chanter, en ce mois de mai 2013 à quelques centaines de mètres de distance à La Fontaine, à la Crêperie L’Equipage, à l’auberge Chouk’Azé, à Locmaria. Les nouvelles du continent nous martèlent une météo maussade ; il fait frais mais les couleurs font pâlir de jalousie les cartes postales. Je m’amuse à écouter les merles dans le déplacement de la petite sono d’un point à un autre ; je m’enivre le regard des myosotis, des asphodèles, de la lande toute jaune, des osteospermums rustiques toutes violettes de leur écrin déployé, des rhododendrons rouges et des guirlandes de glycines à la fraîcheur bleu ciel.

Trois lieux de chansons partagées, et chaque fois les bras ouverts des propriétaires des lieux, du public aux horizons variés. Qui était de Belle-Isle, qui venait de Toulouse, d’Alsace, de Belgique, de Normandie ou des pays de Loire… Je me suis soudain senti transporté par l’âme des boîtes à chansons, telle que traduite dans le souvenir d’un temps québécois mythique ; les îles ne favorisent-elles pas le suc des mots qui peuvent déployer leurs ailes en confiance sur la portée de l’imaginaire ?

J’aurai savouré la rencontre avec les patrons joyeux du bar-tabac-alimentation La Fontaine ; je me suis amusé à imaginer une telle approche chaleureuse au coeur même de Saint-Pierre, en lieu et place par exemple d’un bâtiment trop administratif en bord de mer ; je savoure encore le sourire de ceux de la crêperie L’Equipage, la bien nommée, où tous, du moussaillon au capitaine, croquent la vie dans un décor surgi de la féerie de la mer ; je me serai senti tout heureux de me retrouver à l’auberge Chouk’azé, là où j’aurai chanté l’an dernier lors de ma première visite à Belle-Île. Beau fil conducteur pour nourrir les dentelles du souvenir.

Quelle rencontre aussi que celle avec Patman, le magicien des poissons-rames, lui qui transmute l’ordinaire de la sueur d’hier en poésie du bois revisité ! J’ai eu une pensée pour Bernard Morel qui, à Saint-Pierre, redonne vie nouvelle au bois flotté ; j’ai rêvé dans la contemplation de ces avirons bel-islois soudain dotés d’une âme nouvelle, portée par celle de l’artiste, dans le rapport des pales palpitant dans les profondeurs marines et l’extrémité aérienne des rames ; chaque pièce transporte le regard vers des horizons enchantés dans un élancement d’art où sourd la fibre insulaire…

J’ai la tête enchantée des récits de Jeanine, pétrie de son identité belle-isloise ; fleurs et âmes portaient soudain toutes un nom et me parlaient comme autant de chansons ; Locmaria devenait un parterre d’émerveillement.

Et ma guitare de porter désormais dans sa résonance la grandeur d’âme de Ricardo, le Portugais Belle-Islois, dorissier hier sur les Bancs de Terre-Neuve sur la nacelle de l’impossible, dans son parcours de vie intense, épique et humble tout à la fois.

Larmes de joie à révéler l’inexprimable de la beauté des îles.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
17 mai 2013

Site de l’artiste Patman :

http://www.patman.fr