D’Gé, Face-à-face

Continuité thématique de Et laisser traceMon nid d’île, première chanson de Face-à-face, le nouvel album de D’Gé. Ecrire des chansons ne reflète-t-il pas souvent les tortures de l’âme, celles que d’ordinaire l’on dissimule ? L’île n’est-elle pas le cadre idyllique qui favorise l’introspection ? D’Gé s’est entouré de nombreux musiciens de l’archipel, dont son fils Mattia à la batterie, pour la mise en forme de son nouveau projet, une belle réalisation, riche d’harmonies, pour un produit bien ficelé – CD que l’on aime à avoir dans les mains – ; une belle pochette, livret de belle facture, première de couverture en phase avec la tonalité générale : regard de l’artiste sur son environnement, son rapport à la vie. Le petit homme en vert, deuxième chanson du CD, retient l’attention ; ne passons-nous pas souvent à côté des cheminements d’un quotidien qui en fait nous échappe ? Qu’est-ce qui se cache dans l’errance de celui que l’on rencontre tant de fois à de multiples carrefours ?

Hantise aussi du rapport à l’écriture que reflète un texte emprunté à un autre auteur, Philippe Thivet, dans Taches d’encre et bouts de feuilles. « Je ne suis qu’une plume /(…) Au milieu des enclumes ». Chanson engagée de Complainte d’automne dans une identité bousculée depuis la fin de l’ère de la pêche intensive à la morue. Coups de griffe de l’artiste face à la grande inconnue de notre devenir.

Force de l’amitié dans Toi l’ami, une chanson mise en forme sur le plan musical par l’artiste québécois Steve Normandin, ou thème plus guilleret, humour bienvenu, du Saint-Lieu avec l’aide cette fois du guitariste Eric Poitras. Pas de concession au fil des constats comme dans La valse des cons, dans une dominante sombre que vient renforcer Jeudi neuf heures quarante : « Que c’est triste un cimetière un matin de novembre » (l’humour n’étant pas mort cependant en pareille occase). La noirceur atteint, quant à elle, son apogée dans Vieille garce, chanson consacrée à la « faucheuse ».

1er janvier 2016. J’ai marché dans la froidure des sentiers d’engelure, regard empli d’azur quand soufflent les vents d’ouest de nos hivers. J’ai médité sur l’onde baudelairienne qui se joue des distances océanes et générationnelles. N’y a-t-il pas contraste saisissant entre le doux ronron de notre quotidien insulaire et ces émergences d’écriture où perlent des cris, soubresauts de tectoniques secrètes, profondément humaines.

« Viens mon petit / (…) Je t’en supplie, pardonne-moi / si tu grandis dans ce monde là » chante D’Gé dans son avant-dernière chanson, voix à l’unisson de l’angoisse exprimée. Vient le temps du dernier titre, La poule, la bécasse et la cigale, fable de la vie, des appétits, des effets boomerang, texte bien troussé, rythme enlevé, note d’humour, certes noir, te laissant… Face-à-face.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
2 janvier 2016

D’Gé, Face à face – 2015 –
Site internet : dge.spmnet.com