Nimrod, L’Enfant n’est pas mort

1994. Les temps ont changé, Nelson Mandela est sorti de ses 27 ans d’emprisonnement, dont quatorze ans en isolement complet. Que fait-il lors de son premier discours officiel ? Il lit un poème, d’Ingrid Junker, une Afrikaner engagée contre l’apartheid, fille pourtant d’un suppôt du régime de l’oppresseur, reniée par ce dernier pour son engagement. Elle se suicidera en 1965 à l’âge de 32 ans.

Une fois de plus, les éditions Bruno Doucey, dans la collection dirigée par Murielle Szac, ont l’intuition heureuse. Faire revivre, grâce à Nimrod, l’auteur de l’ouvrage, une poétesse dans sa relation insécable à l’Histoire, en un moment brûlant, en Afrique du Sud. Auront précédé Caché dans la maison des fous de Didier Daeninckx (Denise Glaser – Paul Eluard), Le carnet retrouvé de monsieur Max de Bruno Doucey (Max Jacob), Les obus jouaient à pigeon vole de Raphaël Jerusalmy (Apollinaire). Trois rendez-vous de lecture qui m’auront particulièrement convaincu.

Nimrod, poète, essayiste, romancier, né au Tchad, se consacre à L’enfant n’est pas mort, titre symbole d’un poème décisif d’Ingrid Junker, repère clef dans le combat qu’auront mené Nelson Mandela et tous ceux qui se seront soulevés contre l’insupportable.

1er avril 1960. Un bébé noir malade que sa mère conduit à l’hôpital à bord d’une voiture ; soudain, la bavure ; les soldats tirent, le tuent ; l’affaire est classée. Pas pour Ingrid Junker qui se révolte. Insurrection de l’âme, de l’être au plus profond de ce que doit être l’humanité. Jaillit un poème, L’enfant tué par les soldats à Nyanga. « L’enfant géant voyage de par le monde / Sans laissez passer ». L’enfant n’est pas mort (autre titre donné au même poème)…, symbole de la lutte qui un jour trouvera son accomplissement contre l’absurdité des dominants.

Je marque une pause. T’ai-je déjà dit, dans une chronique précédente, que le format de cette collection pourvue aujourd’hui de quatre titres, est agréable dans les mains ? On se plaît à lire, revenir en arrière, reprendre, se mettre à l’unisson de la vibration des mots. Plaisir que n’enfante pas la dématérialisation.

Deux êtres, deux références – l’une oubliée ou méconnue – alternance de chapitres à l’écriture forte et condensée ; mots qui vont au cœur des sensibilités de Nelson Mandela et d’Ingrid Junker.

Deux vies différentes, passionnées, engagées, tourmentées. Nimrod nous en imprègne avec doigté et conviction. « Elle contemple le monde d’une rive que nul n’atteint. » (p.95)

Allers-retours sur vingt petits chapitres, comme autant de fenêtres intimes. Ingrid Jonker sur le chemin de sa détresse, Nelson Mandela, flambeau de l’Humanité retrouvée.

18 mai 1965. Ingrid Jonker met fin à ses jours.

Et dire que des fleurs printanières peuvent pousser dans le terreau de la tragédie…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

3 juillet 2017

Nimrod, L’enfant n’est pas mort, Editions Bruno Doucey – 2016 – ISBN : 978-2-36229-142-5

J’ajouterai que j’ai eu le grand plaisir de trouver ce livre dans une autre librairie indépendante – sur le chemin de mes explorations – à Clermont-Ferrand. La Librairie  Clermont, 5bis, rue des Gras. J’aurai été accroché, à nouveau. L’espace n’est pas très grand, on monte un petit escalier ; deux salles se suivent à 90 degrés. Mais j’y aurai trouvé mon bonheur, repérant des ouvrages que seules les librairies indépendantes mettent en valeur, la poésie par exemple, comme celle de l’éditeur Bruno Doucey ; la littérature africaine aussi. Un lieu à découvrir pour qui prend le temps de vivre.

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