Au coeur des errances d’aujourd’hui

Deux livres avec des effets miroirs sur le thème du rapport à l’autre, un roman, un livre de réflexion. Le premier, Martyrs français d’Alexis David-Marie, le second, Frères migrants de Patrick Chamoizeau.

Le roman d’Alexis David-Marie pose le problème des emportements de masse que favorisent les nouveaux moyens de communication, des réseaux sociaux notamment susceptibles de véhiculer des mises à l’index faciles, quand elles sont nourries par les peurs, les rejets identitaires. Un assassinat d’un homme généreux commis par un « migrant » et l’on y voit aussitôt un conflit de civilisation… N’est-ce pas écrit par le nom même de l’assaillant ? Le roman se déroule sur cette trame et malmène le lecteur. L’auteur a la finesse de mettre en rapport des attitudes opposées (le narrateur et sa cousine) où l’on peut suivre, approfondir, les cheminements de leur pensée. On en sort troublé, désemparé aussi. Ne se laisserait-on pas aussi avoir dans des circonstances identiques ? Ne réagit-on pas trop souvent à chaud dans un monde où tout nous parvient en accéléré. Mimétisme des réactions, schémas d’a priori qui précèdent l’analyse et nous voilà contaminés par des sentences toutes prêtes comme « il n’y a pas ce fumée sans feu »… Sauf que si d’aventure la vérité finit par éclater on peut se trouver pris à contrepied et se trouver… tout piteux sans vouloir se l’avouer.

« Un homme de 56 ans a été poignardé hier soir dans les locaux de l’Assistance catholique à Créteil pour laquelle il était bénévole. Le suspect, ressortissant du Bangladesh, a été interpellé… » (p.7) Et le récit de s’enclencher…

Ne sommes-nous pas tous des fruits de migrations ? Qu’est-ce qui poussait nos ancêtres à quitter leur point d’ancrage initial ? Certes, les généalogistes des siècles documentés auront la réponse aisée grâce aux fichiers numérisés. Mais remontons le temps… L’histoire de notre branche Homo Sapiens ne s’est pas développée dans la… fixité en un lieu.

Que d’inquiétudes et de prises de position exacerbées alors que le monde connaît de nouveaux bouleversements ! Le présent désarçonne ; rançon du manque de recul face à ce qui dans l’immédiateté bouscule l’illusion de la permanence. Frères migrants de Patrick Chamoizeau est un hymne à la poésie du mouvement et de la mise en relation. Mondialisation des atteintes à la vie « quand l’éthique défaille » (p.20) jusqu’au cœur de la « quiétude épicière » (p.26) mais « mondialité » de l’espoir dans le rapport ouvert à l’Autre. Lampedusa, au sud de la Sicile, un peu plus de 20 km2… Comment réagirions-nous, nous qui savons ce que 25 km2 veulent dire, devant l’afflux des désespérances ? Difficile de répondre quand on n’est pas directement confronté à l’inimaginable.

Mais imaginons-nous dans la peau de celui qui désespère, qui cherche, qui se tisse l’Espoir en se tournant vers l’Ailleurs. En quoi consiste la force de cet aimant qui se jouera de la mort possible dans la traversée ?

Frères migrants est l’occasion de s’interroger, de se dessiller et de définir l’essentiel de l’Humain. L’écriture de Patrick Chamoizeau, en phase avec son approche de la vie, est chaude, chaleureuse, fraternelle.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

26 juillet 2017

Alexis David-Marie, #Martyrs français – Editions Aux Forges De Vulcain – 2017 – ISBN : 978-2-373-05018-9

Patrick Chamoizeau, Frères migrants – Seuil – 2017 – ISBN : 978-2-02-136529-0