Saint-Pierre est, comme tu le sais, plus proche de l’équateur que Miquelon qui est plus proche du pôle nord, toutes proportions gardées, naturellement. Mais il se trouve que les gros bateaux qui vont sur l’eau mettent pied à terre à Saint-Pierre, ce qui accroît le risque que le fromage ne se mette à couler avant d’arriver à Miquelon, si le bateau chargé de l’y décharger n’arrête sa course sur les rochers, ce qui s’est déjà produit, faisant alors tout un fromage, pour la bonne bouche de tous ceux qui boivent du petit lait en toutes circonstances.
Donc, pour aller à Miquelon, il faut passer par Saint-Pierre. Une paire de bottes coûterait plus cher à Miquelon qu’à Saint-Pierre. En théorie. Car l’Etat compense, c’est pourquoi l’on parle de semelles compensées ou de repos compensateur pour ceux qui en ont plein les bottes. De là à en déduire qu’on se repose plus à Miquelon qu’à Saint-Pierre, c’est franchir trop vite un pas en oubliant de regarder où on met les pieds, car l’Etat, vois-tu, compense aussi pour l’ensemble du parcours de la paire de bottes, qu’elle vienne de Nouvelle-Ecosse ou du Pas-de-Calais. L’Etat est donc plus généreux qu’on pense. Qu’en penses-tu ?
Mais voilà que la compagnie Delta qui restait toute seule sur le tronçon Saint-Pierre – Miquelon du fait de la saisie du bateau de son concurrent à Terre-Neuve, ne veut plus assurer le transport à partir du 8 août 2003 vu que la compensation en question est restée dans les caisses du Conseil général. Non à un nouvel appel d’offres, de déclarer le Président du Conseil, tant que la situation n’est pas clarifiée ; on ne peut pas continuer comme ça en perdant de l’argent, de rétorquer le transporteur.
153 000 euros de l’Etat arrivés à bon port, destinés au transport inter-îles, restent donc en rade au Conseil général, le Cap-Blanc – qui est rouge – restera à quai, les Miquelonnais scruteront en vain l’Horizon – vu qu c’est le nom de leur journal, mais qu’il ne paraît pas en été -, en ayant la conviction d’être menés en bateau…, sans compensation.
Henri Lafitte, Chroniques insulaires
3 août 2003