Chronique du 11 novembre 2003

Mais que retiendrons-nous de ce 11 novembre 2003 ? Que ce mardi ressemblait étrangement à un dimanche ? Que la boulangerie était fermée ? Qu’il faisait beau ? Que les piétons étaient rares ? Que des canards gambadaient le long de la « mare à Boulot » ? (tiens, je te la baptise, en souvenir de ce pont de bois qui sentait bon le goudron) Que les feuilles qui pendouillaient aux arbres semblaient ne pas avoir eu la force de se laisser tomber ?

Mais c’était un 11 novembre et le 11 novembre, c’était la Grande, la vraie guerre, à vous faire paraître les autres palotes. Ils ont même droit à un site au poil, les poilus, nous a-t-on annoncé sur les ondes, avec leur nom, leur matricule et les honneurs pour les vivants qui en parlent.

« Est-ce à dire que je méprise
Les nobles guerres de jadis
Que je m’soucie comm’ d’un’cerise
De celle de soixante-dix?
Au contrair’, je la révère
Et lui donne un satisfecit
Mais, mon colon, celle que j’préfère
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit »

comme chantait Brassens. Que puisque c’était lui qui le disait, je ne vois pas pourquoi je dirais le contraire. Les poilus te rasent ? Ecoute « Aftershave » de Le Forestier. Car tu ne vas pas me dire que le son des canons te botte, tout de même. Ces poilus, vois-tu, ils n’avaient droit qu’à la rase campagne et leur vie était toujours sur le fil du rasoir, je te le dis. Puis, il n’en reste plus que trente-six. Doit bien y avoir un type qu’on paie pour le compte à rebours. Chaque année, on y a droit, sauf pour Saint-Pierre et Miquelon où il n’y en a plus. Qu’est-ce qu’on va faire quand le dernier survivant n’aura pas survécu ? Licencier le pauvre type en question qui compte scrupuleusement les heureux gagnants du super loto de la der des der ?

Ils ont l’air de quoi ceux qui ont fait la suivante ?

« Bien sûr, celle de l’an quarante
Ne m’as pas tout à fait déçu
Elle fut longue et massacrante
Et je ne crache pas dessus
Mais à mon sens, elle ne vaut guère
Guèr’ plus qu’un premier accessit
Moi, mon colon, celle que j’ préfère
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit » , dit encore Brassens.

Tu trouves pas bizarre que la der des der n’a jamais été la der des der ? C’est fou ce que les hommes aiment se taper sur la tronche. Tous les prétextes sont bons. Et chaque fois, dis-toi bien qu’il y en a toujours qui tirent les ficelles pendant que les autres se font tirer comme des lapins. Demande à Bush.

« Mon but n’est pas de chercher noise
Au guérillas, non, fichtre, non
Guerres saintes, guerres sournoises
Qui n’osent pas dire leur nom,
Chacune a quelque chos’ pour plaire
Chacune a son petit mérite
Mais, mon colon, celle que j’préfère
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit ».

Bref, un pacifiste, un amoureux du prochain, il a bonne mine sur cette terre minée. On ferait quoi pour les décorations si le paradis était terrestre ?

Alors t’en fais pas, en 2003, l’homme est toujours aussi con.

« Du fond de son sac à malices
Mars va sans doute, à l’occasion,
En sortir une, un vrai délice
Qui me fera grosse impression
En attendant je persévère
A dir’ que ma guerr’ favorite
Cell’, mon colon, que j’voudrais faire
C’est la guerr’ de quatorz’-dix-huit », comme disait Brassens.

L’important n’est-il pas d’avoir du poil au cul, comme aurait pu dire un poilu ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
11 novembre 2003