Raphaël Glucksmann, Les enfants du vide

Le mouvement des Gilets jaunes enclenché à l’automne 2018 aura eu un effet bénéfique, remettre à l’avant-scène l’urgence du sursaut démocratique. Ne déplorait-on pas la passivité dominante de la grande masse face aux défis de société, en particulier de ceux qui concernent directement la France, elle-même élément de l’espace européen ?

Tout était vu comme une acceptation muette de l’inéluctable, sur le mode d’une phrase qui aura eu un impact incontestable, Margaret Thatcher proclamant (en anglais, naturliche) : il n’y a pas d’autre choix. Nous étions condamnés à subir une politique comme allant de soi, Emmanuel Macron voulant être plus Reagan et Thatcher que ces disparus.

Mais « quel con a dit y a rien qui s’passe », comme aura écrit Allain Leprest ?

Survint le sursaut à l’occasion d’une goutte de fuel qui aura fait déborder le réservoir des mécontentements jusqu’alors refoulés. Le refus du gouvernement macronien de prendre toute la mesure de ce qui survenait a complexifié la situation, de nombreuses revendications venant se greffer sur la demande initiale. En résumé, nous aurons assisté à un cri de démocratie nécessaire. Aujourd’hui le pouvoir joue encore le matamore.

Force est d’admettre que poser des revendications est une chose ; enclencher un processus constructif est une autre paire de manches. Aussi est-il bon de recouper des analyses pouvant permettre de se situer face à cette complexité.

L’ouvrage Les enfants du vide de Raphaël Glucksmann fait partie partie de ces outils. Clin d’œil, je m’étais procuré cet essai trois semaines avant le déclenchement des événements. J’en achève la lecture. Ma première curiosité reposait sur le besoin de mieux percevoir ce que peut penser une génération de l’âge même du président en exercice. Deux quarantenaires brillants donc, deux approches aux antipodes.

Raphaël Glucskmann met le doigt sur l’importance du débat démocratique, sur ce qui fait de chaque individu un citoyen. Cette citoyenneté inclut chacun dans un ensemble plus vaste et ne peut que modifier la tendance soulignée aujourd’hui du repli sur soi forcené. Un tel repli est mortifère, d’autant plus que nous sommes confrontés à des interpellations d’une grande ampleur, notamment celle touchant au devenir même de la planète. Impossible dans un tel contexte de pratiquer la politique de l’autruche. « Comment faire vivre une république avec des écarts de revenus de 1 à 300, hors dividendes ? » (p. 70) Nous sommes là au cœur de ce qui menace en France un équilibre hérité de l’après deuxième guerre mondiale. Considérer que ce qui est arrivé en Hongrie, aux Etats-Unis, en Italie, au Brésil aujourd’hui ne nous menace pas participe de l’aveuglement volontaire.

Ouvrage mené sereinement, riche en analyses diverses, et menant le lecteur à une réflexion quant à ce qui relève de ses décisions. Subir ou agir. Un bon tiers de l’ouvrage – la dernière partie – permet de dépasser les constats désolants et de s’inscrire dans une dynamique qui peut ouvrir les portes de l’espoir.

La vie est mouvement ; celui- ci, dans la destinée humaine, est souvent chaotique, ce qui accentue la nécessité impérieuse de la recherche de sens.

« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve », est-il mis en exergue, du poète allemand Friedrich Hölderlin.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

3 janvier 2019

Raphaël Glucksmann, Les enfants du vide, Allary Editons, 2018 – ISBN : 9782370731623