La voie de la Vie ?

La crise des Gilets jaunes s’inscrit dans la nouvelle orientation d’un monde hérité de la financiarisation ultra-libérale impulsée par l’école de Chicago de Milton Friedman et mise en œuvre dans les années quatre-vingt sous Reagan et Thatcher. Ouvrir les vannes au libéralisme absolu et le ruissellement suivra. C’était faire sauter le couvercle de la boîte de Pandore pour que surgisse la spéculation la plus débridée avec pour résultante le monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui : entreprises entre les mains d’actionnaires avides, de fonds de pension déshumanisés, recherche prioritaire des dividendes les plus lucratifs, valse des achats-ventes, fusions, démantèlements, délocalisations, transferts de profits dans des paradis fiscaux…

La classe ouvrière, de productrice de biens à consommatrice des surplus ainsi produits, est aujourd’hui laissée pour compte, la spéculation n’ayant que faire de son existence. Un nouveau jeu en ligne s’est mis en place dans le défilement de chiffres fous qui sont emportés par leur propre frénésie.

La France aura été dépossédée de sa production industrielle ; le monde agricole est lui aussi en voie de racornissement, les concentrations se faisant au détriment de ceux qui peu à peu sont privés de l’accès à la terre ou de survie dans leur travail acharné. Les emplois de service deviennent dépendants d’un endettement massif du pays dont ils paieront le prix. La Chine pendant ce temps s’est réveillée ; la compétition entre les Etats-Unis et cette nouvelle redistribution est d’une férocité qui défie l’entendement. Les soixantenaires d’aujourd’hui n’ont-ils pas vécu enfance et adolescence en côtoyant ce qu’on qualifiait alors de « camelote japonaise » ? Japon, Chine, Inde sont au cœur d’une nouvelle répartition des leviers planétaires. L’Europe se condamne-t-elle à n’être qu’un malheureux Don Quichotte luttant contre les moulins qu’elle échafaude pour faire semblant ? Certes, tout n’est pas aussi schématique, mais les grandes tendances sont là.

Comment ne pas être frappé par l’annonce de l’augmentation des prix alimentaires dans le cadre de la loi Alimentation annoncée en France, en pleine crise des Gilets jaunes, pour le bien de nos producteurs alors qu’elle interviendra sur des produits aux mains d’entreprises, de multinationales qui nous échappent ? Coca-Cola, Nutella… Mais quelle boisson produit-on en France à l’échelle du pays pour contrebalancer, que peut-on mettre à l’échelle du pays, made in France, sur nos tartines, sans que les enfants poussent des hauts cris dès le petit déjeuner ?

La société de l’hyper-consommation a de beaux restes. Elle dissimule de plus en plus difficilement les basculements et les frustrations à large échelle, au cœur des bouleversements actuels dans des sociétés qui se croyaient à l’abri. Le réflexe de construction de « murs » protecteurs de rigidités ne règle rien sur le fond, celui de l’exclusion de l’autre considéré comme grignoteur de la peau de chagrin à laquelle s’accroche la classe moyenne à son tour malmenée, non plus.

Ajoutons les atteintes de plus en plus criantes à la biosphère et l’on se dit qu’il faudra beaucoup d’imagination à l’être humain pour trouver de nouveaux équilibres, redynamiser des valeurs à même d’ouvrir la voie… de la Vie.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

1er février 2019