Jour de clichés

On se balade dans le classicisme du regard, du beau, du pittoresque – la glace qui vient à la rencontre de la mer par rochers interposés -, une côte découpée, la végétation rabougrie. Dimanche de mars en hiver à Saint-Pierre par très beau temps sur la route du Diamant. Appuyer sur le bouton de l’obturateur c’est faire un saut en arrière dans la peinture d’avant l’impressionnisme. Clic. Qu’un reste d’épave – celle du Troot Pool – s’incruste dans le contraste du bleu et du blanc et l’on entre par similitude dans le nec plus ultra de l’académisme pictural. De la catastrophe d’hier résulte un petit scintillement de prunelles. Clac. Mais le cliché qui subsiste est en-deçà des émotions. Comment exprimer qu’à un moment donné on était dans le tableau lui-même ? Bien sûr on eût aimé qu’un aigle se posât sur le rocher verglacé, qu’un vieillard – mon double par anticipation – avec une canne, perclus par les ans, empruntât le chemin côtier de bois. Un peintre eût pu les brosser sur sa toile ; la photographie de paysage n’est que fantaisie du hasard. Se promener n’empêche toutefois pas les divagations les plus extravagantes quand tout contribue au bonheur du ressenti.

Ma première sortie avait été matinale. Clic, vite fait, car pointait l’onglée aux doigts ; autre panorama, tellement familier, toujours aussi attirant. Clac.

Puis venait la dernière sortie avant le crépuscule ; il était possible de flâner vu le passage à l’heure d’été aligné sur nos voisins. Île-aux-Marins, nouvelle photo, Clic. Puis une autre, Clac. Vue sur l’ancien frigorifique. Il était temps de prendre ses cliques et ses claques avant que ne soit remis en question l’enthousiasme de la journée.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

10 mars 2019