Jehan, “Le cul de ma soeur”

L’ordinaire est si sérieux qu’il est bon d’emprunter des chemins buissonniers. La musique vous défiche la voie ; il suffit alors de se laisser porter par le plaisir. Jehan – souviens-toi, il est venu nous régaler en 2005 à l’Escale du Centre culturel – nous offre un florilège de délectation avec « chansons « cul » rieuses et autres gourmandises, rassemblées sous le titre d’ouverture de l’album, « Le cul de ma sœur », textes pour la plupart de Bernard Dimey mis en musique pour plusieurs d’entre eux par… Charles Aznavour, Henri Salvador en ayant porté sa patte musicale sur l’un d’entre eux, Jehan sur deux autres. Superbe mise en forme et voix chaleureuse de l’artiste qui t’emporte dans le maëlstrom de la grivoiserie, dès les premières notes. Humour bien sûr, comme dans « Les amants de ma femme » : « Un soir du mois dernier, ell’ va tout’ seule au cirque / Ell’ ramène un dompteur, sans plus d’explication / Si j’la laisse y r’tourner, vous savez pas c’que j’risque ? / C’est qu’avec le dompteur ell’ me ramène les lions ! ». Regard de Bernard Dimey sur la société non cotée dans les salons bourgeois bien sûr, sous l’apparence de la frivolité, de la gaillardise, comme dans « Le regret des bordels ». Coups de boutoir, images qui décapent et qui bousculent les frilosités de la bien-pensance, on s’imagine livré à l’amour d’une « acrobate ». Ah oui ! Je te le dis, ce serait dommage de rater ce rendez-vous avec de tels joyaux. Basta la froidure, la froideur, la frigidité ! Vive la vie à loilpé quand la musique te berce ainsi les poils !

Tout à coup, quatre autres perles, paroles et musique de Charles Aznavour pour un regard cette fois sur les parties cachées du mâle, « Le zizi de Bastien », « Ne l’amputez pas » : « Son gland fait partie de la tradition »… Il est des évocations qu’on ne trouve pas dans tous les manuels. Mais aussi un autre thème, plus généraliste, tellement répandu du « roi des cons » et, comme un clin d’œil aux textes de Dimey, « mon minet, mon minou » : « elle se gave de ta vie / se goinfre de ton jeune corps / et te buvant comme un sapeur / elle fait de la boulimie ». Avec Dimey à l’écritoire et Jehan à la partition, comment, après tout, ne pas céder au charme des « locaux de la police judiciaire… » ? : « On n’est pas des gangsters, on vivote, on bricole / On est comm’ les copains, faut qu’on joign’ les deux bouts / Moi j’ai jamais eu l’temps de moisir à l’école / Et d’venir fonctionnaire, ça m’plaisait pas du tout ».

Que de plus naturel alors de lire, dans le livret, l’éloge d’Aznavour à l’encontre de Jehan, le « cow-boy cathare », comme l’appelait Claude Nougaro : « Il se veut au service de toutes sortes de poésie », dit-il de lui, « celle de la rue, comme celle des chambres closes / Il caresse, fait danser les vers, fait chanter les rimes ».

Et l’album est particulièrement réussi : qualité de l’enregistrement, des musiciens à l’unisson du talent et la pochette elle-même qui vient agrémenter la Délectation, celle qui est devenue tienne.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
2 août 2006

Jehan, Le cul de ma sœur, Mosaic Music, 2006

http://www.jehan.fr
Disponible sur le site de la FNAC