Le roman de l’an 6 – 1ère feuille

L’ordre moral était en route, ce qui tranchait, en ces années d’un siècle aussi nouveau qu’un caleçon retrouvé au fond d’un tiroir oublié, avec les années soixante-dix où les « mobiles » comme on les désignait familièrement alors, extirpés de leur Métropole à l’appel du Grand Mestre ès Bourg qui préside au destin étalonné de tout survivant ultramarin, reluquaient la gueuse dans les boîtes de nuit d’alors où il faisait bon valser. Qu’il était doux de pouvoir se prévaloir d’avoir chipé le képi d’un pandore attendri en se remémorant la dernière passe d’un moment sans équivoque ! L’on sortait en bande, pour te résumer la scène chaque nuit recommencée avec tout juste un peu de relâche le lundi et le mardi. Car très vite l’appel des glottes vous faisait tirer la langue ; pas question de se la jouer en officier ; il était temps de boire de concert dans un troquet au gré de l’inadvertance ou des habitudes inéluctables dans un espace aussi circonscrit qu’un rocher revendiquant un statut d’île, ce qui ouvre obligatoirement de nouveaux horizons, même par temps bouché.

 On va les mater ! avait-on cru entendre. Du moins c’est ce qui se colportait, alors que le reste du monde était soucieux de se protéger de la grippe aviaire et que la France elle-même avait confiné ses poulets dans la plupart de ses départements.

Plus question en effet d’entonner : « Viens Poupoule ! » à gueule en goguette au sortir d’un des rares lieux rescapés des nuits autrefois si chantantes qu’on se serait crû sur une Canebière subarctique, le pastis avec, le whisky en plus et le mercure en moins.

Janvier 2006 n’en finissait plus de digérer les finitudes de l’année mortibus. Un morne attentisme enveloppait les corps drapés de gris poisseux portés par leur asservissement à la banalité d’un quotidien sans poésie.

A suivre…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
17 janvier 2006