Eric Vuillard, L’ordre du jour

L’ordre du jour d’Eric Vuillard. Livre saisissant ; il te prend ; tu ne le lâches plus, format que l’on tient aisément dans la paume de la main aux éditions Actes Sud. Joss, de la librairie L’Archipel des mots, quartier Saint-Patern à Vannes, me l’a conseillé. J’ai découvert un auteur ; j’ai lu son récit, d’une traite.

Nous sommes dans les prémices de l’expansion nazie. Hitler va envahir l’Autriche…

La suite, on la connaît. Mais l’on en méconnaît tant.

Eric Vuillard campe une rencontre bien réelle entre 24 grands patrons – des noms de vaisseaux industriels qui auront survécu à la deuxième guerre mondiale – et Goering, alors président du Reichstag, bientôt créateur de la Gestapo entre autres responsabilités. Et ces messieurs de cracher au bassinet pour accompagner Hitler dans son délire dévastateur.

L’écriture est condensée ; l’on est saisi par sa force évocatrice, récit émaillé de petits temps de réflexion pour nous qui vivons une autre époque mais qui avons besoin de repères face aux déferlantes qui menacent souvent de broyer les hommes. Autre temps, autres enjeux ; mais il est des fils conducteurs qui méritent qu’on s’y attarde.

Je n’avais pas imaginé que l’annexion de l’Autriche ait pu reposer sur un « bluff » qui laisse pantois ; ai-je pris la mesure de la petitesse d’un lord Halifax, président du Conseil en Angleterre, et d’autres éminents responsables, tant anglais que français… ? Je sais que tout cela était occulté dans notre rapport lycéen à l’Histoire du temps de ma jeunesse. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Un tel récit est à même de nous bousculer d’une manière salvatrice. Les drames se tissent sur tant de petitesses ! L’écriture d’Eric Vuillard nous entraîne avec vigueur dans ces prises de conscience toujours nécessaires, à renouveler encore et encore.

La réécriture de la vie est en perpétuel mouvement, dans sa beauté mais aussi dans son horreur… « Rien n’est jamais acquis à l’Homme… », comme disait le poète.

Il est des chapitres qui vous laissent sans voix, tel le premier – lors de la rencontre avec Goering – mais aussi celui où l’auteur s’interroge sur ce que peuvent penser celles qui, jeunes et fringantes – désormais vieillies –, acclamaient Hitler à Vienne le jour de l’annexion de leur pays. (Que peuvent penser ceux qui ont participé aux massacres du Cambodge ? Du Rwanda ? Et partout où la folie se déchaîne…) Ou, situation dérisoire, celui où Albert Lebrun, président de la République française, en 1938, alors que tous les indicateurs sont au rouge, signe un décret sur « l’appellation d’origine contrôlée juliénas » (p.75) et un autre sur le budget de la Loterie nationale.

Livre percutant qui revivifie l’urgence sans fin de la pensée.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

31 mai 2017

Eric Vuillard, L’ordre du jour – Editions Actes Sud – ISBN : 978-2-330-07897-3