Carnet de lecture : Hubert Reeves, Le banc du temps qui passe

Il fait toujours bon prendre le temps de se poser à la lecture de scientifiques qui eux-mêmes, long cheminement oblige, prennent le temps d’un retour sur leurs explorations, les leçons tirées et les interrogations en suspens, voire renouvelées. Ainsi en va-t-il avec l’astrophysicien Hubert Reeves et Le banc du temps qui passe.

Ici pas de certitude assénée mais une mise en relation de réflexions nous incitant à nous interroger nous-mêmes. Il n’est pas d’âge pour s’asseoir et méditer. Hubert Reeves aura pratiqué cette mise en perspective au fil de ses décennies d’apprentissage scientifique. Avec lui, on se situe très vite à la juste place d’une « poussière d ‘étoiles » dans la grande aventure du cosmos. Le banc du temps qui passe est l’occasion de « Méditations cosmiques. »

Au fil de mes propres décennies, je mesure à quel point les sujets qui empoignent l’humanité ont muté en ce début de XXIè siècle. Certes le thème plus général du rapport à la vie se manifeste sous des formes diverses depuis des lustres, de mémoire d’homme, grâce aux écrits, aux peintures, à tout ce qui témoigne du passé. Mais aurais-je imaginé dans les années soixante, soixante-dix, sans parler des années qui ont suivi, que nous allions être confrontés sur l’archipel à la problématique de la montée du niveau de l’océan ? Sans sombrer dans le pessimisme destructeur, se contenter de se mettre la tête dans le sable ne donnerait l’assurance que d’être un jour submergés.

Recouper les analyses, tenter de prendre le recul nécessaire, ce qui n’est jamais facile à l’échelle d’un parcours humain, semblent source potentielle de survie, à une échelle qui dépasse nos limites individuelles de maîtrise des données, dans la succession des générations.

Le livre repose sur l’agencement de réflexions, méditations, à la mesure d’une page ou deux, questions regroupées sous treize grands thèmes ouvrant la voie d’une grande souplesse de lecture, linéaire ou pas.

Au détour d’une page (p.133), je note cette citation de Charlie Brown, le héros de Peanuts : « J’aime l’humanité ; ce sont les gens que je ne peux pas supporter ! » Et si face au constat que l’on est souvent agréablement surpris par les gens on devait reconnaître que l’humanité nous désespère souvent par ses tendances comportementales ?

Il n’est pas de neutralité dans nos parcours individuels ; chaque être peut contribuer à la marche vers l’espoir, extirpé bien sûr de la gangue de la naïveté arrangeante. Participer à l’épanouissement de la vie autour de soi, comme le mentionne Hubert Reeves (p. 142), quel défi enchanteur et… créateur !

« Le long sentier vers l’humanisation de l’humanité est éclairé par trois luminaires : le désir de comprendre le monde (la science), de l’embellir (l’art) et d’aider les êtres vivants à vivre (l’empathie). » (p.145)

Au fil des pages me reviennent ces mots d’Aragon qui m’auront profondément marqué pour ses axes multiples d’application : « Rien n’est jamais acquis… » dans la marche du temps.

Est-ce paradoxalement le cocon insulaire qui accentue cette perception de la fragilité ?

Les méditations cosmiques d’Hubert Reeves réactivent avec finesse la curiosité vitale.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

9 janvier 2018

Hubert Reeves, Le banc du temps qui passe, Seuil 2017 – ISBN : 978-2-02-137110-9