Carnet de lecture : Les rapports humains et Le chant du départ

Deux ouvrages m’ont accroché dans la foulée (des livres), au point que je les ai lus à deux reprises, si bien que la fois suivante sera la troisième, c’est te dire.

Différences et similitudes. L’un Denis Robert et son « roman » Les rapports humains, l’autre, Michel Audiard et son non moins « roman » Le chant du départ. Deux récits menés d’une manière autobiographique, l’un ou l’on suit « il », l’autre ou l’on suit « je ». Nuance.

Car il s’agit de suivre dans les deux cas les rapports humains précisément à l’âge avancé d’une vie bien remplie. Rencontres, liens, y compris sentimentaux, amitiés, amours, donnant l’occasion d’un regard vif, voire acide sur la vie et les évolutions qui nous touchent. Chez Denis Robert on est dans l’actualité plus immédiate (ainsi en va-t-il du sujet de plus en plus brûlant de notre rapport à l’Intelligence artificielle) ; chez Michel Audiard, on est transporté dans le XIVe arrondissement de Paris, au moment où tout un quartier allait être rasé pour donner lieu à l’agencement actuel, gare Montparnasse incluse. Dans les deux cas, on ressent la charnière, le basculement vers de nouvelles incertitudes. Dans les deux cas, le style est alerte, aiguisé. L’humour fait aussi partie du déroulement, plus marquant chez Michel Audiard. Mais il est des anecdotes chez Denis Robert qui donnent une bouffée d’hilarité.

Dans les deux cas on se sent concerné, emporté par les ondes initiées par les deux auteurs, l’un écrivain, scénariste,  réalisateur, chroniqueur ; l’autre écrivain-journaliste, auteur de films… Qui est qui ? Je te laisse le soin de deviner.

On ne peut pas lire sans frémir la relation du duel entre Alpha Go contre le champion de 33 ans meilleur joueur de go au monde – ici, il s’agit du livre de Denis Robert – , et ce d’autant moins si on a lu La guerre des intelligences du Dr Laurent Alexandre ou Homo Deus de Yuval Harari, ouvrages dont je n’ai pas encore pris le temps de te causer. Ne vient-on pas  – convergence des sujets – d’ouvrir en ce mois de janvier 2018 les états généraux sur la bioéthique ?

La seconde guerre mondiale aura aussi frappé les deux auteurs. Il en est question dans les deux romans, sur des plans différents, certes, mais complémentaires. Du coup j’ai aussi pensé au prix Goncourt d’Eric Vuillard, L’ordre du jour, livre cette fois dont je t’ai déjà causé.

Des observations sérieuses donc, mais aussi chez les deux auteurs une liberté de ton, une écriture décapante, phrases plus courtes, cadencées comme autant de retour à la ligne chez Denis Robert, développements avec dialogues dans le cas de Michel Audiard, dans une présentation sans doute plus imagée de par son engagement cinématographique fictionnel, sans doute.

Denis Robert et Les Rapports humains, pour en dire un peu plus. Le récit, comme un journal de bord, nous met en rapport direct avec le monde d’aujourd’hui et ce qui nous pend au bout du nez avec la financiarisation, la robotisation, les algorithmes qui de plus en plus modèlent subrepticement nos vies.

Ainsi mesurons-nous les effets pervers du Vix qui n’ a rien à voir en l’occurence avec le Vicks, pommade de nos jours enrhumés, Vix, « l’indice préféré des traders » (p. 165) Regard percutant aussi sur les développements en cours de l’Intelligence artificielle et les répercussions sur l’Homo Sapiens lui-même, dans une réflexion rejoignant celle de Yuval Harari  dans Homo Deus ou de Laurent Alexandre dans La guerre des intelligences. Le 28 décembre 2017, je prenais connaissance dans la presse de l’existence d’une « voix artificielle, développée par Google, (est) indifférenciable de celle d’un humain. »

J’ai eu une pensée également pour Pierre Rabhi à la lecture de ce passage : « Nous les emprunteurs à taux forcément trafiqués, les acheteurs de boîtes à cacher nos douleurs, à manger du bitume, à nous aérer les neurones, mains-boîtes, voitures-boîtes, vacances-boîtes… » (p. 165)

Bouillonnement au fil des pages entre le quotidien ordinaire du narrateur en quête de fil conducteur pour un nouveau projet d’écriture et tout ce qui l’interpelle en un siècle qui est le nôtre. Que seront demain Les rapports humains devenus ?

Rapports humains vus sous l’angle nostalgique mais non dépourvu de regard amusé – pour contrebalancer ce qui donne le bourdon -, ton plus détaché, voire envers lui-même, chez Michel Audiard. Petit monde en concentré où les destins se croisent, s’entrecroisent, se superposent ou bien s’égaillent. Marcel Petiot, Jacques Mesrine, au détour des évocations, des digressions dans le détachement des souvenirs, projets de réalisations…

Et Paris d’un temps pas si lointain pour des quartiers sans lendemain. Tu as l’impression soudain d’être un client au pied du zinc au café du Grand Vizir et tu entends les pelles mécaniques.

Une émotion s’est exprimée suite à la démolition d’une vieille maison en bois à Saint-Pierre. On réagit à ce qui change dans le paysage. Mais s’émeut-on suffisamment du délitement des rapports humains, repliés que nous sommes sur nos écrans ? D’ailleurs n’es-tu pas virtuel, toi qui me lis ? Peut-être ma chronique est-elle lue par un robot ?

Le chant du départ des rapports humains, je te dis.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

19 janvier 2018

Michel Audiard, Le chant du départ – Fayard 2017 – ISBN : 978-2-213-70550-7

Denis Robert, Les rapports humains – Juilliard 2017 – ISBN :978-2-260-02999-1

Livres cités :

  • Dr Laurent Alexandre, La guerre des intelligences, JC Lattès 2017 – ISBN : 978-2-7096-6084-6
  • Yuval Noah Harari, Homo Deus, Albin Michel 2017 – ISBN : 978-2226393876