Par-delà les murs

Est-ce sous l’effet du confinement que je me suis mis à relire le roman – en fait un ensemble de récits – de l’écrivain basque Bernardo Atxaga, intitulé Obabakoak ? Qui sait d’où viennent nos impulsions ?

Solitude de lieux perdus dans le fin fond de la Castille dans le récit consacré au village de Villamediana. Je me serai laissé porter par des phrases qui soudain auront fait bifurquer mes pensées. Solitudes dans la froidure de l’hiver. Rencontres… confinées, déjà. Rien à voir pourtant avec ce qui est survenu à l’échelle planétaire avec la crise du coronavirus.

« Toute société , même la plus petite, s’entoure toujours d’un mur invisible. » (p.131)

D’un monde illimité, nous voici contraints à un cocon restreint de par l’interaction possible, sur une planète hier ouverte, lourde de conséquences potentielles avec ce qui survient de loin. Tout arrivant est désormais suspect, mis en quarantaine – en quatorzaine comme il est de bon ton de le dire -, en Chine comme à Saint-Pierre. En Chine il sera systématiquement testé. On ne joue pas dans la même cour. Mais nous sommes loin à Saint-Pierre et Miquelon de la folie qui a touché les îles de la côte ouest en France, Groix, Belle-Île, Ré…, avec tous ces résidents secondaires venant se mettre à l’abri, porteurs éventuels de virus. On comprend que l’émoi puisse être exacerbé, l’intrus – vu comme tel – faisant alors preuve d’un comportement écervelé. De telles attitudes ne renforcent que les murs. Ainsi naissent de nouvelles aigreurs qui remuent des relents enfouis.

« Qui dit mouvement dit vie. Le repos, en revanche, est synonyme de mort. » (p.169)

Etrange sensation d’un pays mis… sous les verrous avec un droit de sortie, à condition que ceux qui en abusent ne viennent pas tout bousculer. Mouvement pour le moins réduit donc, ralenti. Etrange sensation d’hibernation jusque dans les lieux où fleure bon le printemps.

« Les choses oubliées ne sont pas perdues à jamais. » (p.177)

Me revient en mémoire une visite au printemps 2018 d’un coin de Normandie, à Aizier, sur la rive gauche de la Seine, où l’on mettait les lépreux à l’écart , la lèpre étant une maladie incurable au Moyen Age, moins contagieuse toutefois que la peste. Ce lieu, où ne subsiste qu’une chapelle romane en ruines, m’avait frappé par son silence, sa solitude, les murmures du passé. Aurais-je imaginé que nous vivrions sur nos îles dans la crainte d’un porteur de virus ? La tentation du rejet, de l’exclusion est le propre de l’homme. Fort heureusement nous avons changé d’époque. Toute personne atteinte est une personne malade, donc prise en charge par un service de santé. Le confinement, paradoxalement, touche tout le monde. Le but est d’éviter les engorgements et le risque induit dans le traitement des personnes infectées qui nécessitent une hospitalisation. Il ne s’agit plus d’exclure mais de faire converger des comportements vers le but commun de la santé collective et individuelle, sans se laisser emporter par ses angoisses. Le virus n’est l’invention de personne : il s’inscrit dans les grandes inconnues de la vie. Aujourd’hui les yeux sont tournés avec beaucoup plus de respect vers la recherche fondamentale. C’est grâce à elle que la planète retrouvera un nouveau souffle.

Nous étions quatre, saisis par la beauté du lieu porteur de mémoire, de souffrance. Je revis aujourd’hui l’émotion dans ce rapport à des laissés pour compte, livrés alors à leur sort.

Le coronavirus ne nous amène-t-il pas à rêver à une immense fraternité planétaire ? Que d’oublis, que de laissés pour compte dans le fracas des bombes et toutes les déchirures humaines avant que ne survienne un intrus de l’invisible !

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

20 mars 2020

Livre cité : Bernardo Atxaga, Obabakoak, christianbourgeoisediteur – ISBN : 978-2-267-01915-5