Le monde d’hier, pour aujourd’hui

J’ai ressenti le besoin de relire Le monde d’hier de Stéphane Zweig. L’auteur est né en 1881 et la première moitié de son livre est consacrée à la période qui précède la première guerre mondiale. Il évoque la quarantaine d’années entre la guerre de 70 et la première guerre mondiale quand l’insouciance l’emportait. Comment imaginer que l’on pouvait voyager alors sans passeport ? Autrichien né à Vienne, il va en Allemagne, en Angleterre, en France puis en Inde aux États-Unis et on ne lui demande pas le sauf-conduit des passagers d’aujourd’hui ! A New York il aura eu l’embarras du choix pour se trouver du travail sans qu’on l’interroge sur ce qu’il était, d’où il venait.

Depuis, il y a eu la première guerre mondiale, puis la seconde, la montée et le choc terrible des nationalismes. Après la deuxième guerre mondiale et les trente glorieuses, le premier choc pétrolier de 1973, puis un deuxième, un troisième, le néolibéralisme, l’attentat du World Trade Center, les attentats islamises, le choc renouvelé des violences occultes, ce qui fait qu’on ne peut plus imaginer la libre circulation des gens.

« Il est peut-être difficile de peindre à la génération actuelle, qui a été élevée dans les catastrophes, les écroulements et les crises, pour laquelle la guerre a été une possibilité permanente, attendue presque quotidiennement, l’optimisme, la confiance dans le monde qui nous animait, nous, les jeunes, depuis le début de ce siècle. » (p.230)

Aujourd’hui, l’Europe est face à une grave crise existentielle. La crise du coronavirus a révélé dès son déclenchement toutes ses faiblesses du fait des orientations politiques qui auront sérieusement dégradé ses capacités de recherche, de production, d’autonomie, avec des situations critiques exacerbées variées notamment en France.

Le monde se cloisonne, on se replie derrière les frontières pour essayer de juguler un virus qui déstabilise tout ce qu’on croyait solide, inébranlable. L’insouciance, déjà sérieusement mise à mal ces dernières décennies avec la casse des garde-fous protecteurs – la révolte des Gilets jaunes l’aura particulièrement révélée – fait place désormais à une angoisse qui étreint et paralyse.

Les pays qui se disaient avancés ont eu droit à un sérieux coup dans l’aile, révélant des erreurs d’orientation et des manques désastreux. La voix des politiques a perdu toute crédibilité et cela fragilise considérablement les démocraties.

Un réveil démocratique pour sortir de cet état d’abattement devient une exigence car les rendez-vous avec d’autres remises en question ne manqueront pas.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

31 janvier 2021

Livre cité : Stefan Zweig, Le monde d’hier – Le livre de poche – ISBN : 978-2-253-14040-5