Ahmet Altan, Je ne reverrai plus le monde

Il suffit d’un premier chapitre, voire même d’une phrase et te voilà pris…

… car la phrase vient d’un homme que l’on vient arrêter. Il est écrivain, journaliste, il est turc, liberté au coeur. Le voilà prisonnier, dans la foulée d’un mouvement populaire suivi d’une réaction exacerbée par le pouvoir en place. Un des policiers lui propose une cigarette en route vers l’inconnu d’un monde sans lumière : « Merci, je ne fume que quand je suis tendu. »

On n’est pas dans un roman mais dans le récit d’un vécu. Ahmet Altan, écrivain turc, essayiste, rédacteur en chef d’un journal vient d’être arrêté, nous sommes Turquie en 2016. Actes Sud en 2019, puis Babel en format poche en 2021 nous ouvrent ses textes de prison :  Je ne reverrai plus le monde.

Se trouver soudain, avec d’autres compagnons d’infortune, dans « quelque chose de l’ordre d’un vide sans consistance qui ne serait ni tout à fait la vie, ni vraiment la mort. » (p.26) Une écriture forte, poignante. Un témoignage qui d’entrée te saisit.

Comment un homme privé de lumière peut toutefois échapper à « la touffeur poisseuse de (sa) cage peuplée d’ombres » ? (p.68) incarcéré, tout comme son frère, pour « message subliminal » lors d’une émission télé, transformé ensuite en « participation à une tentative de coup d’état ». Comment ne pas penser au film L’Aveu de Costa-Gavras ? Terribles résonances…

Livre poignant donc, où surgit la force d’une liberté insoupçonnée, celle qu’un pouvoir geôlier absurde ne peut enfermer, ouverte au « monde avec les ailes de l’imagination » (p.214), et que s’envoleront des pages « écrites à l’encre de mémoire ». (p.214) Ecriture salvatrice contre toute forme de tyrannie.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

23 octobre 2021

Ahmet Altan, Je ne reverrai plus le monde – Babel – 2021 – ISBN : 978-2-330-15375-5