Chronique du 5 juillet 1999

Cher lecteur,

J’ai envie de t’écrire une lettre. Toutefois, pour gagner du temps, j’en viens directement à la formule de politesse. Mais j’éviterai, pour ne pas te blesser, la formule-type : « Je vous (surtout que je te tutoie) prie d’agréer l’expression de ma considération distinguée. »
Cette formule pourrait te faire croire en effet à une estime particulière, eu égard à tes qualités qui me sautent aux yeux, même si je ne te vois pas. Et comme je n’hésite pas à en rajouter une louchée, pour que tu sois bien persuadé de ma déférence assurée, je qualifie cette considération de distinguée pour bien souligner tout ce qu’il a chez toi de remarquable. J’ose espérer que tu n’en doutes pas. Quoique si tu as bien suivi, tu te doutes bien qu’il y a anguille sous roche, ou du mou dans la corde à nœuds. Surtout à nœud papillon, puisque j’aborde maintenant le deuxième volet de mon argumentaire.

J’en viens donc à quelques exemples, triés sur le volet et pris récemment dans l’actualité récente de nos chères îles de Saint-Pierre et Miquelon qui méritent toute notre attention, voire notre considération. Mais n’allons pas trop vite. Prudence.

La presse locale nous abreuve régulièrement d’échanges de courriers, histoire de nous remonter le moral quand nous trouvons nos boîtes postales désespérément vides. J’ai pu relever que les politiques, après avoir bien cogné contre le destinataire de leur missive, achevaient inexorablement leurs diatribes par une « Je vous prie d’agréer, Monsieur le…, l’expression de ma considération distinguée » , histoire de le cravater avant qu’il ne se casse. Tu vois où je veux en venir ?

J’illustre par des paroles d’hommes illustres.

Courrier du député Gérard Grignon du 30 juin 1999 adressé au Président du Conseil Général. « Je ne peux que (…) constater votre acharnement à me marginaliser ». (Je résume)
Fin de la lettre « Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma considération distinguée. »

Courrier du député Gérard Grignon du 28 juin 1999 adressé à Monsieur Philippe Paturel, patron de SPM RoRo Service, la compagnie qui assure le désenclavement maritime. « Je me dois de vous faire connaître que j’ai été particulièrement choqué et scandalisé suite à votre récente intervention sur RFO tant sur le ton que sur le contenu, à propos de l’augmentation du fret sur la ligne Saint-Pierre-Fortune. » Il ajoute : « Vous n’avez de leçon de civisme à donner à personne. » Et le reste, du même tonneau, à tire-larigot. Puis la lettre s’achève par : « Je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de ma considération distinguée. » Et l’autre, pas dupe, de lui répondre et de conclure par « Je vous prie d’agréer, Monsieur le Député, l’expression de mes sentiments distingués et néanmoins cordiaux », ce en quoi il se distingue.

Et je pourrai prendre d’autres exemples. Mais désireux de préserver la considération que tu pourrais éventuellement me témoigner, je vais achever cette lettre sans autre considération particulière.

Compte tenu du temps que tu passes à lire mes balivernes, je te quitte en te disant tout simplement :
Salut.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
5 juillet 1999