Chronique du 14 octobre 1999

Ah les obsessions lexicales des hommes politiques !
Hier le député n’avait qu’un mot : « Oser ».
Aujourd’hui, il n’a qu’une idée fixe : « Regarder devant ».
« C’est devant qu’il faut regarder, pas dans le passé. Ça ne sert à rien et n’intéresse plus personne », dit-il dans son édito du Vent de La Liberté du 2 octobre 1999.
« Regardons devant ! » clame-t-il dans celui du 9 octobre.

Au passage, cher lecteur, as-tu essayé de te mirer le dos, sans miroir, bien entendu ?

Mais, me suis-je dit soudain, (car je me parle et parfois sans m’y attendre, même dans le noir) que veut-il dire par là ? J’ai donc regardé.

Dossier nouvelle piste : « Nous étions pour un autre projet » (« nous » collectif pour les erreurs partagées, à distinguer de tout « je » singulier, symbole de réussite). La nouvelle piste a été inaugurée, contre Vent de la Liberté et marais à sauver. Y a pas d’erreur, il l’a eu dans l’œil, une paille quoi ! Mais qu’importe ! « L’infrastructure est là ». Regardons devant.

Dossier Miquelon S.A (ou Qu’est-ce qui péchait ? Sans aucun rapport avec qu’est-ce qu’ils pêchaient ?). Les portes sont fermées, les biens sont liquidés. Amen ! L’usine rassemblait tous les espoirs de « toutes celles et tous ceux qui espéraient que cette usine allait leur assurer un travail pour l’avenir », à commencer par les salariés, et « tous ceux à l’égard desquels Archipel S.A. avait des dettes » (principe des vases communicants en eau trouble). Curieusement, l’homme politique s’efface, dans cette reconnaissance post-mortem. L’échec devient collectif, « engagement déçu de la population (…) croyant en son avenir et investissant collectivement ». Où étaient donc les guides suprêmes, les visionnaires sortis des urnes ? Où va donc un troupeau de moutons si le berger se goure de direction, ou pire tombe dans un piège qu’il s’est tendu ?
« Toute cette affaire fut un énorme leurre », dit le député, tellement énorme qu’il aura fallu des années pour le voir, du fait que l’on regardait derrière, certainement, et pas devant. Mais oublions, fermons les yeux sur l’usine et « regardons devant ! »

Ce qui revient à s’en remettre aveuglément au berger de service qui sait où il va, puisqu’il est le seul à avoir le regard clair, pour l’avenir. « Nous avons obtenu des quotas (donc, nous, c’est Lui), « nous siégeons à l’OPANO » (nous, c’est Lui), « nous y avons obtenu des quotas » (nous, c’est Lui), « nous siégeons aussi à l’ICCAT où nous avons obtenu un petit quota de thon » (nous, c’est encore Lui).

Si après tout cela vous qui n’avez que vos yeux pour pleurer, mais qui ne les avez pas dans la poche, vous ne voyez pas qu’il n’y en a qu’un pour avoir le compas dans l’œil, c’est que vous avez les yeux dans l’cul, comme disent ceux qui savent ce qu’il faut chercher à ceux qui ne trouvent pas.

  C’est qu’il nous en met.

  Ou ça ?

  Plein les mirettes ! Et le tout de son cru.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
14 octobre 1999