Chronique du 20 avril 2003

Dans un livre intitulé « Les petits soldats du journalisme », l’auteur, François Ruffin, un ancien étudiant du Centre de Formation des Journalistes de Paris, dévoile une réalité que l’aura dont bénéficie cette institution ne permettrait pas de soupçonner : « Des automatismes qui tiennent lieu d’écriture, du vide à produire vite et sur commande, un lectorat (fictif) dont on devance les attentes, des réflexes qui remplacent toute réflexion, l’obéissance comme première qualité professionnelle, jusqu’à obtenir de bons petits soldats : voilà l’enseignement distillé dans cette école d’excellence… »

Reportages ? Enquêtes ? Aventure ? Que de mots trompeurs quand l’école répond tout simplement aux besoins du marché : former des scribes dociles dans un contexte où tout patron de média n’a que l’embarras du choix pour remplacer celui qui ne répond pas à la ligne éditoriale. « Des espoirs vite ensevelis. A la place, cette école d’excellence me proposait un idéal de gratte-papier obéissant, à l’écriture mécanique, vissé à son écran Macintosh, ne percevant le bruit et l’épaisseur du monde qu’à travers les échos d’un « fil » AFP. »

Triste constat, mais pourquoi t’en parlé-je, ô lecteur ? C’est que, pour illustrer le risque qu’encourt tout récalcitrant, voilà l’Archipel en question. « Car mieux vaut être préparé à l’intransigeance des rédactions, où aucun désaccord n’est admis, même minime. » Et François Ruffin de citer Alain Accardo, auteur de « Journalistes précaires », édité en 1998 : « dans une station de France 3-région, un présentateur renâcle à lancer un sujet ? Le rédacteur en chef adjoint lui a dit : « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu veux être muté à Saint-Pierre et Miquelon ? » »

A ce stade, un journaliste informé en vaut combien ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
19 avril 2003

François Ruffin, « Les petits soldats du journalisme » éditions « Les Arènes », 2003