Chronique du 9 décembre 2003 (2)

Au cas où tu ne le saurais pas – mais dans ce cas, tu n’as pas la télé, tu ne vis pas en France et encore moins à Saint-Pierre et Miquelon, c’était week-end de téléthon en ce mois de décembre 2003. Pour qui voulait y échapper sur l’Archipel, cela relevait du défi. Trois pas dans la rue, le nez dans l’entrebâillement de la lourde ou une course au supermarché, et hop ! Comment échapper au regard de l’autre ? N’avons-nous pas l’impression au sortir de ce week-end d’avoir subi une forme de matraquage ? Peut-on s’interroger sur les dérives des grand-messes médiatiques ? Ouf ! Le sacrilège !

N’assiste-t-on pas au détour d’une annonce à un curieux mélange d’activité désintéressée et d’opération publicitaire ? Certes, on ne peut mettre en doute la sincérité qui prévaut. Mais n’y a-t-il pas rupture d’équilibre ? Disproportion ? Car dans la surenchère, l’Archipel de Saint-Pierre et Miquelon fait fort. Le record, déjà impressionnant, aura été une nouvelle fois battu : 96 000 euros pour 6600 habitants! N’est-on pas entré dans une autre forme de démesure et de défoulement collectif au nom des bons sentiments ?

Mais quel est le rôle d’un Etat au regard de la santé ? S’interroge-t-on sur la baisse des crédits accordés à la recherche ? Ne se défausse-t-on pas d’une des vocations premières d’un Etat sur le peuple, prêt à n’y voir que du feu car pris au piège de ses cordes sensibles ? « Téléthon : marre « d’être des animaux de cirque » », titrait Libération le 6 décembre, rapportant le propos de « certains handicapés » qui « en ont marre qu’on parle d’eux deux jours dans l’année », qui en ont « assez du voyeurisme et de la compassion ». « On est des animaux de cirque. C’est beaucoup de mise en scène et de m’as-tu vu pour récupérer de l’argent. Ce n’est pas dans le but de nous faire intégrer à la vie sociale », dit une autre, dans un propos rapporté par le quotidien national. « C’est un moyen extraordinaire qu’on a trouvé pour déculpabiliser les gens. Les entreprises qui versent sont « lavées » de devoir embaucher des gens. On est dans la bonne conscience », lit-on encore dans une autre réaction.

Donne qui veut me diras-tu. Mais ne court-on pas le risque dans le contexte insulaire de passer pour un empaffé sur un rocher de 25 km2 en sortant du PAF de la charité étalée ?

Allez, je te perturbe ? Excuse-moi, je te laisse ; je pense soudain à ceux qui ont froid ou faim en ce début d’hiver..

 T’aurais pas une pièce ? de demander un SDF.

 Non, excuse-moi, j’ai déjà donné.

Mais la scène se passe à Paris.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
8 décembre 2003