Jehan, “L’envers de l’ange”

Il s’appelle Jehan !

Tu vois, j’ai mis un point d’exclamation car sa voix capte ton attention, dès la première note. Pourtant, « je ne suis pas un conquérant, plutôt un cowboy cathare (comme dit Claude Nougaro) » de souligner l’artiste toulousain dans le livret de son dernier CD « L’envers de l’ange ». Premier texte que lui n’a pas signé puisqu’il est la Voix, le compositeur parfois. Mais parcours qui sort des sentiers battus par la force de l’artiste qui aura présidé au choix des douze titres. « Si peu d’humain » nous saisit en ouverture : « Si peu d’humain / Oui si peu / Que l’on finira bien / Par se prendre pour Dieu / A se prendre à rien / On se pendra sans nœud / Pendra adieu » dans une ballade qui t’emmène aux portes de l’ultime (un instant j’ai pensé au détour de cette ouverture, à Romain Didier dans la scansion des mots – Romain Didier est venu à Saint-Pierre, tu t’en souviens ?). Te voilà interpellé au plus profond en phase avec ce timbre qui te fait vibrer en ton for intérieur. Car les mots se détachent de chanson en chanson, irrésistiblement portés vers des sommets.

Rythme virevoltant soudain à la troisième chanson et te voilà déjà entré dans un univers aux accents bien marqués, nourris de chaudes influences dont celle – tiens, j’ai particulièrement accroché, mais ce n’est pas un hasard – de Bernard Dimey. « J’ai tout vu tout connu / J’ai tout gagné et perdu / J’ai tout vu tout connu / Je ne partirai plus ». Texte aux sens multiples. Se reposer ou en mettre plein la vue ? Le retour au bercail laisse toujours le choix. Mais vive l’optimisme : « vive encore plus le jour / où me voici de retour ». Jehan chante Dimey ; peut-être ne le sais-tu pas. Et de manière enthousiasmante ! Symbiose entre l’écriture de l’un et le chant de l’autre ; « Le jour où je saurai m’avancer dans la vie / Sans redouter mon ombre et sans raser les murs / (…) / Ce jour-là je le sens je le flaire à distance / (…) Je sauterai le pas dans le plus grand silence / Y aura toujours un con pour vous le faire savoir », ce qui n’empêche pas de savourer « Les petits plaisirs du jour », autre texte de Dimey.

Texte enivrant d’une vie accomplie que celui du « parfum » de Delphine Doubal qui aura écrit quatre des douze titres : « J’ai capté l’essentiel / L’essence de toutes choses / Le parfum où repose / L’arôme existentiel », mots d’autant plus percutants qu’ils sont eux-mêmes martelés
par une mise en forme musicale dépouillée.

Puis vient la participation de Claude Nougaro pour qui « Sir Jehan est un grand visiteur » : « Si j’étais paysan, tu serais paysâme / J’ai trouvé ce mot sur mes pas / Tu germais dans mon sillon, graine de sésame / Mon grain de peau, mon pain, ma foi ». Choix judicieux pour le germe d’une si belle écriture dans l’harmonie d’une rencontre entre les deux artistes.

Vient le temps de la « déclaration ». Pas de musique, mais une fibre, l’âme d’un être dans sa plénitude. « C’est merveilleux de s’abandonner de ne plus être / De ne plus être sur ses gardes… »

 Hep !

 Oui

 « Tu vas finir par me faire / Passer l’envie de baiser / Avec tes discours ».

Un grand homme, je te dis.

« Les petits poils des avant-bras qui frissonnent et une larme qui germe et sourit au coin de l’œil, vous connaissez ? » , de demander Claude Nougaro. Alors pourquoi se priver du plaisir que nous laisse entrevoir le chantre de Toulouse. Je te le dis en avant-première ; Jehan sera à Saint-Pierre ; il nous transportera vers « l’envers de l’ange » les 10 et 11 février 2005 à l’Escale, au Centre Culturel.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
12 janvier 2005