Mario Chenart, “J’ai pas dit mon premier mot”

« J’ai pas dit mon premier mot ». J’aurais aimé écrire ça, tant j’ai de sujets dans la besace, au chaud, à mijoter. Mais tant pis, c’est fait, par un Québécois que je te conseille de découvrir, si ce n’est déjà fait ». Car il n’en est pas à ses premiers accords.

La formule est celle de la première chanson qui donne le titre de son dernier album. Cru 2004. Mais le chemin peut être un long fleuve tranquille entre le Québec et Saint-Pierre et Miquelon.

Attaque de la guitare dès la première mesure, chant solidement soutenu, textes bien construits, tu t’y retrouves si tu connais déjà l’auteur compositeur interprète, tu apprécies déjà si tu l’écoutes pour la première fois. Rythmique solide à nouveau pour le deuxième titre où l’artiste fait le point sur ses quarante ans. Sentiments que l’on peut éprouver ultérieurement : « J’entre dans mes années quarante / Deuxième moitié de ma vie / Je cherche encore ce qui me manque / Pour cesser de vivre à demi ». Car chaque destinée humaine qui s’inscrit sur cette durée minimale ne passe-t-elle pas par la réédition, donc la réécriture, de ces constats ? Interrogations sur la vie toujours dans ce qui préside au rapprochement amoureux. Regard sans concession dans « Le Drop-Out » qui touche au cœur quand on se penche sur ses années d’école. « Ça fait quinze ans que j’magasine au supermarché du savoir / (…) Ya pas d’couplet contre le système, chu déjà toutte récupéré… » Très beau texte, je te le signale en passant de Sylvain Lelièvre. Occasion au détour d’un couplet de s’interroger sur la finalité de l’école d’aujourd’hui qui, au-delà des apparences, forme plus de manipulables que d’êtres voués à assumer leur liberté.

Continuité guitaristique entre la mise en forme musicale de « G7 » d’un album précédent et « Chacun son rôle », la septième chanson. Chacun son rôle précisément, Mario Chenart assure le sien avec brio. « Chacun son rôle sous le soleil / L’oiseau voie / L’herbe pousse / Le diamant brille / Et l’actionnaire / … joue aux billes ».

« Ça tombe bien ». Eh oui ! C’est toujours le cas quand le plaisir est là. Belle chanson, bien enlevée, pour tout un parcours de vie, des premiers pas, des premières chutes, et cette obstination à se relever toujours : « Ça tombe bien / J’allais justement / Me relever plus grand ». Puis après tout, pourquoi ne pas l’accepter : « Un pied dans’ tombe / L’autre dans la cour aux miracles / Le rideau tombe / Clou du spectacle ». Belle chanson qui aide à surmonter les angoisses.

Autre point d’accroche dans « C’est plus facile de faire des petits / Que de faire des grands », aux accents jazzy. De quoi entraîner une fois de plus notre adhésion tant ce thème rejoint le vécu et les incertitudes qui l’accompagnent.

Alors pourquoi ne pas fermer cette page musicale sur une « épaule magnétique », « ce coin de l’univers » sur l’épaule d’une fée. « Le creux de ton épaule / magnétise mapeau / Me baptise dans l’aube / D’une paix / Qui repaît / Et qui tient / Le destin / En respect »… En effet…

Henri Lafitte, Chroniques musicales
3 décembre 2005

Mario Chenart, J’ai pas dit mon premier mot, CD 2004

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