Le roman de l’an 6 – 9è feuille

– Je vais t’en raconter une bonne ! s’exclama-t-il en se tapant allègrement les cuisses. Il était entré comme à l’ordinaire dans un de ces lieux clos qui s’étaient ouverts, histoire d’y voir un peu plus clair dans l’atmosphère obscurantiste qui prévalait désormais sur les îles. Il était de ces gens comme tout le monde, lunetté, cravaté, fonctionnaire de catégorie C. Sur les îles, les locaux étaient principalement relégués aux rangs subalternes. Mais il avait réussi à préserver sa part d’insoumission.

 Les bleus ont arrêté les douaniers ! Contrôle de papiers, ballon, la totale ! Et sais-tu pourquoi ?

 Vas-y…

 Mesure de rétorsion qu’on appelle ça. Trois flics étaient partis à Saint-Jean avec leurs femmes. Ils sont revenus avec des sacs suffisamment gros pour que les douaniers leur demandent s’ils n’avaient rien à déclarer. Non rien, ont-ils répondu. Sauf qu’un ordinateur portable dernier cri, ça se remarque. Il a bien fallu qu’ils montrent leurs factures.

 Paf ! Une amende ! Ils ont donc pris leur revanche…

 Ça n’a pas raté. Attends un peu que la vedette des flics un de ces jours fasse Fortune…

 Seront amenés à faire contre bonne fortune mauvaise tête, j’en doute pas…

 La guerre est déclarée…

 Contrairement aux achats…

 C’est à qui taxera l’autre de con… Allez, on va fêter ça !

Car l’être humain a des ressources insoupçonnées quand il entre en résistance. Mais personne ce jour-là – il était 18 heures – ne put résister à l’envie d’éclater de rire, ce qui mettait un peu de baume au cœur à tous ceux qui en avaient de plus en plus lourd sur la patate.

Et tous continuèrent de jouer au bouchon.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
25 janvier 2006