Frits Bolkestein – Michel Rocard : Peut-on réformer la France ?

Le débat est-il toujours possible ? Sans doute que non. L’intolérance, la certitude du quant-à soi, l’affirmation de la puissance, l’arrogance sont des freins. Mais si une éthique commune existe, l’affrontement des idées peut avoir lieu. C’est ce qui aura permis au dialogue entre Frits Bolkestein et Michel Rocard de donner lieu à leur opuscule « Peut-on réformer la France ? »

Heureuse surprise quand Frits Bolkestein, ardent défenseur néerlandais du libéralisme, reconnaît que « la rémunération des chefs des grandes entreprises » dans son dérapage à la hausse « est inopportune » (p. 84), ce qui permet au social-démocrate Michel Rocard de souligner : « J’aime parler avec vous parce que nous n’avons pas d’hostilité éthique. Ce que vous dites de la rémunération des patrons autorise que nous parlions. Tandis que si vous entrepreniez de légitimer ce niveau de rémunération, cela serait presque impossible ». (p. 86)

A travers le regard porté sur la situation politique, économique et sociale de la France, le débat permet de clarifier certains termes, occasion de constater le poids des mots et l’importance d’une claire utilisation de ces derniers pour éviter les malentendus souvent lourds de conséquences. N’est-il pas hasardeux d’opposer libéralisme et social-démocratie ? De quel libéralisme s’agit-il ? Car là est bien le fond du problème. « Les mots comptent : le refus des règles dans le jeu économique, ce n’est pas du libéralisme, c’est de l’ultralibéralisme ou du monétarisme » de souligner Michel Rocard. (p. 54) Et Frits Bolkestein de reconnaître le bien-fondé des règles.

Ce livre apporte une analyse forte aux déchirements de la société française, notamment dans la marginalisation croissante de plus en plus de laissés-pour compte du capitalisme actionnarial, dans un contexte de déliquescence du pouvoir et d’erreurs magistrales sous la présidence de Jacques Chirac. Ainsi en va-t-il de l’exemple des banlieues, avec l’envoi à la casse de tous les outils de proximité, police y compris, source de casses d’un autre ordre – parlons de désordre -, pour lesquelles les réponses conçues comme prioritairement et médiatiquement répressives n’auront rien apporté de bon.

123 pages au total qui permettent, alors que se profile un rendez-vous majeur pour la France en 2007, d’examiner les principes fondamentaux de la social-démocratie, confrontée à d’autres visions dans le contexte mondialisé, et de se dire, en ayant la volonté de répondre aux questions les plus angoissantes de tous les Français qui se sentent victimes d’une spirale destructrice qui semble les aspirer : « Peut-on réformer la France ? ». Cela ne passe-t-il pas par la réforme nécessaire des représentants politiques eux-mêmes ? Sans doute dans ma formulation ai-je pris une option sur la voie à retenir…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
25 octobre 2006

Frits Bolkestein – Michel Rocard – « Peut-on réformer la France ? » – Autrement Frontières – ISBN : 978-2-7467-0858-2