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Madagascar All Stars

Il est des moments forts dans les découvertes musicales ; je me souviens encore de l’intensité du spectacle d’Erick Manana, artiste malgache, à l’Escale du Centre culturel de Saint-Pierre. Comment ne pas me souvenir des larmes de joie de ses compatriotes, de la beauté de ses musiques et des textes qu’il savait nous présenter en français avant de nous entraîner dans le merveilleux de l’imaginaire qu’il nous était alors facile de peupler.

C’est porté par la force de cette soirée que j’ai retenu sur les rayons d’un disquaire un CD de plusieurs artistes malgaches, intitulé Madagascar All Stars, Erick Manana faisant partie de cette anthologie. Pouvais-je soupçonner que je vivrais un autre temps suspendu de plaisir à l’écoute d’une telle richesse mélodique, porté par une langue d’une musicalité telle qu’elle vous emporte immédiatement de ses couleurs ? Puis, par le truchement d’un très beau livret, le contact avec les sources d’inspiration de tous ces artistes. Choc de trouver une dimension rarement atteinte dans l’évocation des défis qui s’imposent à l’humanité d’aujourd’hui. Erick Manana, le seul que je connaissais, Fenoamby, Justin Vali, Régis Gizavo, Dama, cinq étoiles venues d’horizons pour moi exotiques. Beauté d’un paysage chargé de mystère ocre en ouverture de livret. Puis les textes, dans la langue vernaculaire et la traduction bienvenue en français. En route pour une nouvelle dimension !

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« Masoala ou Oeil-Forêt », en point d’entrée. « Il était une fois jadis ici-bas sur terre… » Et Dieu qui invite sous le charme toutes les forêts du monde. Tout était empli de beauté et d’harmonie. « Mais quand le fils du mortel arriva / La forêt fut engloutie et réduite en cendres ». Le ton est donné Difficile de trouver mieux alors que les grands de ce monde vont encore jouer l’esquive sur le mauvais état de la Terre à Copenhague. « Le regret ne prévient pas », dit encore la chanson de Justin Vali, « il vient toujours après ». Et ces notes de vahila, instrument traditionnel malgache, comme autant de gouttes d’eau qui vous transportent dans les bois hier si beaux !

N’as-tu pas été frappé par les tsunamis qui rayent de la carte des populations côtières, ce qui n’empêche pas l’industrie du tourisme de s’accaparer dans la foulée les plages alors récupérées ? « Entends-tu le vent fort qui souffle en rage ? Cyclones et tornades qui attaquent sans ménage ». Rappel de la nature sur l’importance de la vie ? « La règle est de ne pas détruire mais faire vivre », chante Régis Gizavo, appuyé par la profondeur de l’accordéon. Erick Manana a contribué à l’écriture de ce beau texte qui nous rappelle les vérités tectoniques.

Et puis soudain le troisième titre, lourd de sens à l’ère de l’inconscience mondialisée. « On brûle la savane et l’on s’en fiche / Les forêts incendiées, on s’en fiche/ (…) L’avenir des enfants on s’en fiche / Ô père, ô mère / Ô ry Aba e, ô ry Endry / Ce ne sont pas fusils qui vont nous tuer / Nous nous comportons en inconscients… » Concentré obsédant de la folie humaine. Mais un mot d’espoir en fermeture / ouverture de chanson « Heureusement que vos enfants sont là / ils ne se fichent pas ». « Tsy miraharaha, On s’en fiche », de Dama. Guitare et harmonica pour témoigner de la richesse des influences planétaires. Ô père, ô mère…

Accordéon encore et valiha, rythme des percus, dans « Je déteste » de Fenoamby. Pas question de se laisser emporter par l’appétit de lucre qui ruine les amours. « C’est la compatibilité de caractères / Qui fait perdurer la relation (… » Réfléchissons-nous les hommes / Swinguez ». Oyez ! Oh yeah ! Alako ! « Je déteste gaspiller… »

Tour à tour les artistes portent leurs chansons, les musiciens font groupe, corps, passion et amitié, chaleur et choeurs dansants. « Tope-là ». Cette fois, c’est Erick Manana dont je retrouve la voix éclatante, soutenue par sa maîtrise de la guitare aux cordes de nylon. « On ne vit qu’une seule fois / Un unique passage sans répétition / Ne te laisse pas avoir, bas-toi / Tope-là ». Leçon du père à son fils, tentative de transmission de la sagesse. « Tope-là ». Mais réussit-on dans ce défi renouvelé de l’histoire humaine ?

Car la beauté tient dans cette osmose entre sujets sérieux, voire graves, essentiels et la fluidité poétique et musicale. Charme qui envoûte l’auditeur sans qu’il ait à souffrir d’une leçon de vie. Pourtant, n’est-il pas urgent de réfléchir aux effets induits et destructeurs d’une croissance économique à outrance. Que de richesses naturelles et humaines pillées au nom de la course au profit ! « Ô Soanoli, ô Soanali / Pourquoi pleures-tu autant ? », beau texte d’Olombelo Ricky.

Et nous qui nous aimons à Saint-Pierre et Miquelon l’art de l’hospitalité, comment ne pas reprendre « Les gens d’ici ne sont pas avares de leur amitié / Il n’y a pas de place pour ceux qui sont pressés. » Prendre son temps. « doucement », comme le dit la chanson de Dama, quoi de plus fondamental ?

Regards universels qui n’empêchent pas la traduction de vécus régionaux comme pour les « voleurs de zébus ». Mais les exactions qui détruisent les efforts de toute une vie ne sont-elles pas universelles. Les zébus sont alors réincarnés de multiples manières ; les souffrances sont identiques.

Zébu encore, dans un autre contexte, celui du sacrifice pour une offrande aux ancêtres. Dans notre monde occidental, comment est entretenue la flamme de nos mémoires ? Savons-nous l’entretenir ? N’avons-nous pas tendance à oublier le liant de nos temps provisoires ? Mémoire qui pour autant n’est pas synonyme de chagrin, mais de fête. « Je vais danser aujourd’hui ». Nous avons quant à nous tellement tendance au souvenir triste… « E, e,e ! Je vais danser aujourd’hui / Tout le monde a entendu l’appel / Et toute la famille est là pour la cérémonie… Hidolôla zaho niany, » chante Fenoamby sur un rythme bien chaloupé.

Pas besoin de manuels pour prendre le temps de penser à la vie. Un CD enchanteur suffit. « Remplaçons par des chants et musiques / Ce qui n’a fait que détruire », chante Erick Manana. N’est-il pas opportun de songer à « ce qui rend malheureux » ? Place à la danse envoûtante de l’amour, nettement préférable. La réponse n’est-elle pas chez ceux du sud que le nord voit trop souvent avec condescendance ? « Réconciliation, amitié », et respect bien sûr.

Comment ne pas se sentir partie prenante de « Handeha isika hody e », « rentrons à la maison », quand il faut quitter sa terre natale pour tenter sa survie avec la nostalgie du terroir natal dans la besace ? L’auteur évoque ses coutumes malgaches, mais ce besoin de retour aux fibres des origines est universel. Belle mélodie en vérité, toute imprégnée de chaleur. Et puis, fil conducteur de mes émotions, j’ai songé à « La plus belle fille du Zaïre » de Michel Buhler.

Dans son positionnement en avant-dernier titre, la chanson des « soucis », empreinte de tension intérieure, nous ramène aux contre-points plus négatifs. Amours incomprises, déchirements, « Rien, rien que des soucis / Dès le matin, des soucis / La tourmente m’envahit / Car ma femme est partie ». On ne saura pas pourquoi. Mais est-ce possible de le savoir tant le rapport entre les êtres humains est complexe ?

Aussi ai-je aimé que l’album de ce quintet captivant se termine sur une note d’espoir renouvelé : « Vous serez des dieux », comme pour un gospel de tendre humanité. Au diable la tristesse ! La fête est de retour. Pourquoi soudain songé-je tant à la danse autour d’un feu quels que soient les antipodes, quand l’homme avait un vrai rapport avec l’insaisissable de la vie ?

Tsy ferana, aura chanté Erick Manana à Saint-Pierre, traduction de « Ballade en novembre » d’Anne Vanderlove. N’abordons-nous pas les prémisses de l’hiver ? La chaleur intérieure n’est-elle pas l’antidote à toutes les froidures ?

Henri Lafitte, Curiosités musicales
22 novembre 2009

CD Madagascar All Stars, 2009, avec Fenoamby, Justin Vali, Dama, Régis Gizavo, Erick Manana, Olombelo Ricky

http://madagascarallstars.net/