Mémoires d’un Terre-Neuvas du XVIIIè siècle

J’ai tout d’abord saisi ce livre comme un écrin précieux, par respect pour la beauté de la première de couverture. Le titre ? Mémoires d’un Terre-Neuvas – Eustache Le Pelley Fonteny (1745-1820), capitaine sur les Bancs au XVIIIe siècle, originaire de Granville. Papier glacé et grand format (24×39) pour un très bel ouvrage, sous la houlette de Monique Le Pelley Fonteny et Gilles Désiré dit Gosset, avec une introduction historique, une partie consacrée à son itinéraire, une autre au texte de ses mémoires, des éclairages sur la pêche d’alors et des annexes. Pour passionné, ou collectionneur, mais un ensemble qui évoque la ruche qui opérait dans notre environnement dans une période tourmentée de notre Histoire, celle des combats et des traités de 1763 et 1783 notamment. La partie « mémoires » est accompagnée de nombreux rappels et repères biographiques et historiques et d’une iconographie de qualité.

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Figurent dans cet ouvrage des documents touchant de près à une période tourmentée de notre Archipel de 1763 à 1783. La France l’a récupéré par le traité de Paris de 1763 ; pourtant la tension avec l’Angleterre reste vive et bientôt se déclenchera dans cette partie du monde la guerre d’indépendance de l’Amérique. Des armateurs français vont armer des bateaux à la « course » qui vont fréquenter notre zone, contre l’adversaire. C’est le cas de Jean Ernouf, l’armateur de Granville, qui armera deux de ses bateaux, avec un autre armateur granvillais, Pierre La Houssaye. Parmi les informations ici consignées, celle « du 4 juin 1777 au 6 janvier 1778, une mission de renseignement à Saint-Pierre et Miquelon, Terre-Neuve et le golfe du Saint-Laurent (…) confiée à Eustache Le Pelley Fonteny, capitaine. Le but est d’aller observer l’attitude des Anglais dans la zone de pêche réservée aux Français ». (p. 32) On trouve la lettre de mission signée le 26 mai 1777 par le ministre de la Marine de Louis XVI, de 1774 à 1780, Antoine de Sartine : «  L’intention du roy est, Monsieur, qu’à votre arrivée dans le port de l’issle de Saint-Pierre, vous fassiés décharger votre bâtiment avec la plus grande célérité et que vous remettiés à la voille sans perdre de tems, pour entrer dans le golfe de Saint-Laurent et faire le tour de l’issle de Terre-Neuve… » (p.128-129) Le ministre lui donne aussi pour instruction, à partir du port de Saint-Pierre, d’aller vérifier la situation en Acadie et de le tenir régulièrement informé à partir de nos îles, par courrier.

Et c’est ainsi qu’Eustache Le Pelley Fonteny arrive à Saint-Pierre, sur le Louis-Marie, un navire marchand, le 17 juillet 1777 « où il n’a rien trouvé de nouveau. » (extrait de l’intégrale d’un compte-rendu anonyme adressé au ministre de la Marine, p. 130-131) Il y est de retour le 7 octobre de la même année, qu’il quitte le 17 novembre. « Il a, à Saint-Pierre, vu beaucoup de bâtiments insurgen, dont les équipages débitoient des nouvelles à leur avantage et paroissoient dans la plus grande confiance de réussir contre les Anglois. » (.131)

Il laisse à Saint-Pierre « à peu près quatre cents matelots pêcheurs qui ne sont pas habitans. (…) Les habitans s’attendent à la guerre ». (p. 131)

Pour ma part, je trouve exaltante l’implication de notre Archipel dans cette période majeure de l’Histoire de l’Amérique, si peu connue et pourtant importante, tant dans les décisions prises par la Cour de Versailles que dans le déroulement des faits et le vécu insulaire. C’est par une lettre envoyée de Saint-Pierre que la Cour apprend la défaite des Anglais face aux Insurgents américains : «  Ce fut par cette même correspondance que le gouvernement apris la défaite des Anglais par l’armée américaine, qui m’avoit été donnée par cette chaloupe de Louisbourg qui avoit mis à bord de moi. » (p. 113 – extrait des Mémoires d’Eustache Le Pelley)

En 1778, les Anglais donnent l’assaut, rasent la ville et les 1932 habitants sont obligés de fuir. La paix sera signée le 20 janvier 1783 et l’activité de pêche sur les Bancs pourra reprendre. Un compte-rendu d’Eustache Le Pelley de la campagne de pêche daté du 1er août 1783 nous permet de bien percevoir la dureté de la pêche à la morue sèche, appuyée sur les havres âprement convoités pour traiter le poisson à terre, sur le French Shore.

Ce livre est riche en informations sur toute une épopée à l’échelle de toute cette vaste zone des Bancs, du golfe du Saint-Laurent et de l’île de Terre-Neuve. Journées de labeur interminables, adaptation permanente due aux malades, aux blessés, aux estropiés, prise de risques permanente…, chaque détail alimente le travail de mémoire.

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
8 mars 2012

Monique Le Pelley Fonteny et Gilles Désiré dit Gosset, Mémoires d’un Terre-Neuvas – Eustache Le Pelley Fonteny (1745-1820) – OREP Editions – ISBN : 978-2-8151-0089-2

Disponible à la librairie Lecturama