Chalutiers dans la tempête

À peine sorti de l’univers d’écume de La Chambre de veille d’Alexis Gloaguen, je me suis plongé dans un livre de photographies, prises par un photographe de Concarneau, Gérard Fournier, consacré à l’univers maritime qui se déploie sous ses yeux.

Car l’originalité vient de ses prises de vue effectuées au téléobjectif, de terre, pour nous transporter dans un déferlement à couper le souffle, de « Chalutiers dans la tempête », comme le résume le titre de ce très bel ouvrage. Comment ne pas être frappé par ces vies maritimes, en suspens entre deux possibles, le naufrage ou le retour au port, cales pleines de raie, de limande, de lotte, de lieu noir…, vents soufflant à plus de cent kilomètres, écume enragée, souffle couchant sur babord ou tribord un bateau prêt à se retourner ! Images saisissantes qui parlent aux yeux perlés d’océan.

Beauté d’une intense vie liquide tourmentée et de ces points d’accroche dans leur propre existence que sont ces chalutiers de 14,50 à 35 mètres qui sillonnent au large des côtes du Finistère. Entrées effarantes dans des ports fouettés par les embruns comme à Saint-Guénolé ; rochers qui semblent guetter leur heure. Ces photos nous font saisir l’intensité de ce combat entre obstination et incertitude du possible ; tout peut basculer et pourtant la vie continue, la lutte acharnée contre les éléments, pour ramener du poisson dans les cales, pour la criée.

Des textes courts, écrits par Pierre-Henri Marin (nom prédestiné) apportent des précisions appréciées quant au lieu et au moment de la prise de vue, le nom du bateau, sa taille et la force du vent. Nous pouvons alors prendre tout le temps nécessaire pour nous imprégner de la force des scènes ainsi fixées. Nous pouvons lâcher la bride à notre imaginaire, dans notre contexte insulaire, dans la continuité de l’odyssée des pêcheurs courageux. Les équipements modernes, dans de tels tourbillons, ne suffisent pas ; il faut toute la maîtrise d’un capitaine, chaque marin à son poste, pour que le drame soit évité. N’est-on pas impressionné quand on voit, dans des pions monstrueux, des hommes vaquer à leurs gestes ordinaires, dans la répétition de leurs gestes assurés ? La « marée de paradis » n’était-elle pas au cœur des tempêtes propres à effrayer le terrien ? Terme pour contrecarrer le mauvais sort aux portes de l’enfer ?

Les photos sont belles ; le lecteur, rassuré, devine que tous ces bateaux sont rentrés au port, dans un ballet dont la chorégraphie pourrait difficilement être mise en scène sur le plancher des vaches. Ouf ! J’ai bien cru que le Strereden Ar Mor allait chavirer à la page 81 ! Et cette autre vision d’un bateau qui semble aspiré par l’arrière, page suivante. Scènes parmi tant d’autres. Un chalutier s’appelle l’Atlantique ; il faut l’assumer, être à la hauteur d’un océan qui joue sans relâche sa propre partition.

Livre nourri de cette âme qui anime les chevaliers des déferlantes. Bel hommage à un métier, un très grand.

Et j’ai été sensible à la préface de Daniel Hillion qui écrit : « À feuilleter les images de ce photographe, on comprend tout d’un coup pourquoi elles touchent profondément. Il recueille en fait le regard des femmes. Des femmes de toujours qui suivent jusqu’à les voir se dissoudre dans l’incertitude de l’horizon les navires qui reviendront, peut-être. »

Henri Lafitte, Lectures buissonnières
20 avril 2012

Gérard Fournier, Chalutiers dans la tempête, Editions Babouji / MDV Maîtres du Vent – 2006 – ISBN 2-35261-007-9

Disponible à la librairie Lecturama