Frasiak, Chroniques

La vie m’aura permis de belles rencontres ; futur antérieur, tu me diras. Antérieur à quoi ? À de nouveaux émerveillements pardi. Parmi ceux-ci, les chansons d’Eric Frasiak, venu à Saint-Pierre et Miquelon en 2011 lors du festival des Déferlantes atlantiques. Voici que sort son cinquième album intitulé « Chroniques ». Non, pas insulaires celles-là, mais un regard sur aujourd’hui, celui d’un gars de Bar-le-Duc. Et les chansons te captivent, tant par la réussite de la mise en forme que par les thèmes abordés.

Et c’est parti pour M.Boulot qui se fait de plus en plus prier ; ou si l’on parle de lui, c’est qu’il met les cannes, n’est-il pas vrai ? Tiens, au passage, j’ai bien aimé le livret, façon page de journal, en couleur, pour agrémenter le tout. « Monsieur Boulot, on te voit plus / Dans ta région depuis un bail »… Cette chanson d’ouverture a l’étoffe d’un tube, par tout ce qui touche aux tripes, par son rythme virevoltant. Dans quelle spirale les salariés d’aujourd’hui sont-ils emportés ? Reste-t-il une part d’humanité, à l’image de ce monsieur Boulot que l’artiste interpelle ? Une chanson phare de l’album, assurément.

Quinze titres égrènent l’heure d’écoute. Quinze approches qui se retrouvent bien sous le générique. Qu’on se rassure, l’humour est toujours possible. Avec toutes ces invites aux précautions pour le moindre geste d’aujourd’hui «  on est où là ? » Eric Frasiak mûrit son approche au fil de ses pérégrinations. N’est-il pas venu jusque sur nos îles ? « J’traîne là où la vie m’emmène, j’traîne. » Et l’on mesure son attrait pour les rythmes folk. Je me dis au passage qu’un Pete Seeger mettait aussi le doigt où c’était sensible ; les sociétés déchirées ne datent malheureusement pas d’aujourd’hui. « J’traîne mes chansons au bout du monde / Sur un caillou qu’la brume inonde… » On ne serait pas un peu chez nous, là ? Autre chanson qu’il s’avère agréable de fredonner.

J’ai savouré aussi « Tous ces mots terribles », texte et musique de François Béranger, avec la participation de nombreux artistes dont Michel Bühler – cet artiste suisse que j’aurais aimé un jour entendre à Saint-Pierre -, Frédéric Bobin, Jean-Yves Liévaux (du groupe Alcaz), Jofroi (lui est de Belgique, superbe également), Steve Normandin… et beaucoup d’autres. Une mise en forme bien ficelée, un collectif qui fait chaud au cœur, des voix qui se rejoignent pour dire pourtant ce qui nous triture dans la vie. J’ai le souvenir vibrant de l’hommage à François Béranger sur l’album précédent d’Erik, Parlons-nous. Eric Frasiak a le sens de la mélodie et des mots qui font mouche, je te le dis ; sur un air de mine de rien, il nous bouleverse. Eh oui, dans ce monde, où que l’on soit soit, île ou continent, « il en faudra encore des chansons pour essayer qu’il soit moins con. »

Pas de quoi être rassuré quand on ouvre la focale. « 600 femmes assassinées à Ciudad Juarez depuis 1993 » ; nous sommes « frontière nord du Mexique ». Ailleurs, oui, mais dans la continuité de ce qui nous identifie comme espèce sur terre, et pas sous les meilleurs atours. L’homme n’est-il pas toujours prêt à se révéler dans ses turpitudes ? « Pas de place pour l’amour à Ciudad Juarez ».

On se raccroche alors à son ordinaire. Se plaindre de la météo (tiens, ça me dit quelque chose) ; « Y’a de l’amour dans l’air », qu’on se le dise, avec le balancement des hanches qui convient. L’album aborde des facettes multiples de la vie. « Ivrogne et pourquoi pas ? » Il est tant de censeurs, de maîtres à penser du bien se conduire qu’on se demande comment ils baisent…

Il est aussi des repères qui marquent nos cheminements, comme le changement de dizaine sur la durée moyenne de nos courtes existences. « 50/50 cinquante balais, déjà ! » Je me suis laissé aller à cette interrogation ; c’était il y a… . Thème de chanson qu’on appréhende sans doute quand vient le temps des premiers reculs. L’auteur aborde ainsi ce qui touche davantage à l’intime, comme être « simplement différent. » Tout ne voudrait-il pas nous condamner à l’uniformité sous les miradors de la bien-pensance ? T’ai-je mentionné que les enrichissements musicaux, sur la base de la Martin électro-acoustique bien assurée, sont très variés, de titre en titre ? Et cette diversité de palettes participe du plaisir de la découverte (et de la réécoute) de l’album.

Eric Frasiak sait aussi s’amuser, comme se livrer à une réaction décapante quand d’aventure on dysorthographie son nom. Frasiak. « Ça s’écrit sans complications / Juste F-R-A-S-I-A-K / Y’a jamais eu d’Z à mon nom. » Accents plus rock encore comme dans « Toquée Tokyo. » Allez, on se pose. « Qu’est-ce que c’est beau !… » L’amour, bien sûr. Et la poésie, « Ces p’tits morceaux d’la vie, comme de la limonade / Qui moussent et qui pétillent… » Chanson qui méritait bien sa tonalité piano. Créer, chante Georges Chelon. Fil conducteur du vivre encore.

Et l’album entraînant de bout en bout de s’achever sur un rythme endiablé pour dire « un type à part… une graine d’ananar »… J’ai à cette écoute une petite pensée au passage pour Jehan Jonas. N’est-il pas bon de semer quelques petites graines en-dehors des voiries balisées ?

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
25 novembre 2012

Frasiak, Chroniques, Crocodile Productions 2012
Site internet : www.frasiak.com