Petit traité des privilèges de l’homme mûr

D’abord, il y a eu le prix, 9 euros pour un petit bouquin broché. Pas cher n’est-ce pas ? C’est fou comme aujourd’hui le prix fait partie des premières choses qu’on regarde avant même de savoir si l’on a vraiment envie de se procurer l’objet de la vérification vénale. Mais surtout – ouf !, je sens que je vais sauver la face -, la première de couverture avait quelque chose d’attirant, avec un chien Labrador assis sur des gogues en train de consulter une tablette (un iPad, dirais-je vu que j’ai depuis longtemps l’âme Apple). Un petit mot coup de cœur, accroché avec un trombone, attisait de surcroît ma curiosité. Je me suis dit que ce devait être une lectrice, vu qu’elle avait signé Marie et que la libraire s’appelle Joss à l’Archipel des Mots, dans le quartier St-Patern de Vannes, en face de la Préfecture. Si avec ça tu ne repères pas un jour la librairie, c’est qu’il te faut investir dans un GPS de poche. Ça fait plus cher du bouquin forcément.

Que je te cause de ma découverte, de ce Petit traité des privilèges de l’homme mûr, de Flemming Jensen, écrivain danois, traduit en français sinon j’en aurais été quitte pour un océan de déconvenue. On ne peut maîtriser toutes les langues, surtout avec ce qu’on nous apprend à l’école. De mon temps, mon bon monsieur, on apprenait hen, poule, bee, abeille, drawer, tiroir, trousers, pantalon, et on pouvait avoir 20 sur 20 en anglais. Maintenant, il faut savoir demander : how much is it ? Et c’est une autre mise en forme pédagogique, d’autres plans sur la comète, un collège babélien, d’autres réformes perpétuelles et j’en passe. Comment ne pas paraître pour moins con qu’on en a l’air si ce n’est de déclarer in petto que de notre temps c’était nettement mieux ?

J’en reviens à mon bouquin. Un ensemble de petits chapitres de « réflexions nocturnes » quand vient le temps du sommeil qui met de plus en plus souvent les adjas. A l’âge mûr, précisément, avant le pourrissement.

J’ai aimé ce petit opuscule, comme un bon divertissement ouvrant les portes de la divagation réflexive. Il est vrai qu’il faut souvent un petit déclencheur pour se muer en philosophe, se prendre pour un Michel Onfray, le doute en plus. Celui-ci peut m’accrocher dans ces démonstrations, j’en conviens, mais je me recroqueville quand il assène ses certitudes. J’ai été ballotté entre acquiescements et désaccords à la lecture de sa Théorie du voyage, pour ne citer qu’un exemple.

Flemming Jensen, donc, aura retenu mon attention. J’ai savouré son « roman », construit comme un ensemble de réflexions d’un narrateur-auteur qui dit « je ». Et qui pourrait être toi.. Tout dépend de ton âge et de ton genre, évidemment. Mais la magie de la lecture transcende toutes ces déclinaisons.

Chaque petit chapitre a un titre chapeau.  « Questionnement sur la pertinence de nos célébrations », « Regrets sur les limites de la miséricorde », « Pensées nocturnes sur la noblesse de la chasse », entre autres. Comme tu peux le voir, c’est varié, décousu, comme nos pensées qui voguent ici et là au gré de nos réveils ou de nos insomnies. Le plus déroutant, c’est quand tu te sens ferré, comme lorsqu’il s’agit de la guerre que d’aucuns ont voulu exporter en Irak, de la médecine libérale à outrance ou sur les effets pervers de la démocratie que l’on met sur « pilote automatique » (p.66)… A toi de voir, si tu veux recouper tes propres divagations réflexives.

Les pages sont alertes, l’humour veille sur le lecteur comme la lune sur nos veillées nocturnes. Un exemple. Imagine ton fils te dire, parce que tu as beaucoup de choses à dire, à raconter, à commenter : «  c’est vrai que tu as un sacré disque dur.(…) Mais ça manque sévèrement de ram ! » Et tu vogues ainsi sans te prendre la tête, ce qui, au passage, est meilleur pour la santé que toute forme de médication.

« Privilèges » de la lecture, forcément, quel que soit l’âge ou le sexe.

Maintenant, si tu ne vois pas pourquoi je me suis attardé dans cette chronique sur ce « petit traité sur la chance que nous avons, nous autres adultes », relis-la, comme ça tu auras la confirmation que tu ne vois toujours pas pourquoi et, de ce fait, tu pourras… et ainsi de suite.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
20 mai 2015

Flemming Jensen, Petit traité des privilèges de l’homme mûr et autres réflexions nocturnes – Gaïa Editions 2014 – ISBN : 978-2-84720-453-7