De la désolation

J’ai relu en ce mois de mars particulier de l’an 2020 Les bienheureux de la désolation d’Hervé Bazin, publié en 1970. Une petite communauté insulaire de 300 habitants, de Tristan da Cunha, île anglaise de l’hémisphère sud, au nord des 40è rugissants projetée par l’exil, à cause d’un événement imprévu – un tremblement de terre –, dans un monde de consommation qui la désarçonne. Retrouver cette île, pourtant désolée, pour un équilibre de vie ouvrant la voie d’un bonheur pleinement ressenti, telle sera la détermination ultérieure des désolés.

Ne trimballons-nous pas dans nos mémoires collectives le sentiment d’un étrange paradis perdu en ayant trop bossé du dos pour n’accepter, comme seule solution, la financiarisation exacerbée destructrice de tous les équilibres ? Retrouver le sens des fondamentaux n’était perçu que venant de l’obstination de ceux qui étaient vus – souvent sous l’effet de l’acharnement médiatique – comme des illuminés.

Puis surgit un virus.

Sommes-nous en train de réapprendre à vivre, bousculés par un mal codé, SARS-Cov-2 ?

Regard sur la France de 2020. 70 000 prisonniers pour 61 000 places dans les prisons ; constat de l’insuffisance des moyens dans le domaine de la justice, des tribunaux ; drame des EHPAD ; personnels en nombre insuffisant, insuffisamment équipés ; pompiers ignorés ; système de santé hier méprisé par le pouvoir, aujourd’hui félicité, pour faire face malgré toutes les pénuries… Et des politiques, hier arrogants, soudain mués en étranges “Don Quichotte”… On ne peut que leur souhaiter de pouvoir un jour faire bonne figure pour avoir pratiqué l’aggiornamento nécessaire.

Voilà donc la planète entière soumise à un virus. 2,6 milliards d’êtres humains confinés depuis le 24 mars ! Pour faire face demain, l’insoumission des convergences pour éviter le retour à un monde qui aura fait preuve de son impréparation, de sa vulnérabilité, sera vitale.

Histoire de prendre un chemin de belle humanité.

Les bienheureux de la désolation ? J’y ai retrouvé d’étranges résonances, dans la quête de l’essentiel. Nous étions habitués entre autres, « à voir débiter le temps par tranches, comme un melon ». (p.88) Et voilà qu’il nous faut appréhender une dimension temporelle qui nous désarçonne… Le coronavirus n’aura-t-il pas fait de la planète entière « un laboratoire où se poursuit une expérience de transmutation. » ? (observation extraite du roman d’Hervé Bazin)

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

25 mars 2020

Livre cité, Hervé Bazin, Les Bienheureux de la Désolation, Points