« Tu es mon berger ô seigneur »

Ô toi lecteur contrit, ficelé, masqué, démasqué, pétri, fiché, perfusé, anesthésié, couillonné, empapaouté, qui avala tout cru ce que l’on te servit sur le gobe-mouches, omettant l’adage qu’on ne meurt que vivant, te voilà rassuré, aiguillonné, gardon comme morue verte, barbon, grison, ravigoté, dépoussiéré, rajeuni de rêves orgiaques, lourdes ouvertes vers toutes les joyeusetés dont tu te sentis dépossédé.

Dieu n’a-t-il pas un jour, en guise de Big Bang génésique, largué une caisse cosmique ? De ce prout initial naquirent les étoiles et le soleil au-dessus de tes îles en liquette à cause de la montée des eaux. Mais aussi les molécules, les protéines et l’accouplement. Et toi, sur ton radeau, médusé, tu as aujourd’hui les foies de ton ombre dans le pré carré où tu tournes en rond.

Fichtre ! Mazette ! Saperlipopette !

Mais échapperas-tu au cancer du foie, des poumons, du pancréas, du bras droit, à ton arrêt cardiaque, à l’objet contondant qui te tombera sur l’âme par une pétuche de nordet, au tonneau dans ta caisse à roulettes, au coup de poignard dans le dos, au furoncle occulte, à la peau de banane sous tes pompes soudain funèbres, à l’enterrement de première classe de tes projets, au coup de masse d’un bureaucrate marteau, à la séparation des parties pour cocufiage, à la cuiller avalée par inadvertance, au SIDA, à la vérole comme au bon vieux temps ?

La privation de voyage aura été ta hantise. Aurais-tu oublié que pour voyager loin il est primordial de ménager sa monture ? Si tant est que l’on ait d’ailleurs un cheval avec probablement le mors aux dents, ce qui d’entrée aura force symbolique. Mais as-tu pensé au tremblement de terre possible, au tsunami souvent induit, aux platanes aimantés pour ton chesterfield à roulettes, au dernier éternuement du président, à ton corps défendant qui, toi le doigt dans l’œil, te criera pouce ! ?

Alors, rester aux abris ? Mais qui sait si une météorite ne viendra pas écraser le petit potager que tu auras eu tant de mal à dompter ? Si un chien errant ne viendra pas te mordre ? Et si tu mettais le pied sur un râteau ? Si un illuminé appuyait sur un bouton rouge ?

Sois rassuré ; bientôt on te révélera la seconde précise de ton ultime souffle. Sauf accident venant mettre fin prématurément au décompte obsessionnel que des notifications régulières ne manqueront pas de scander. Tu auras cru en l’immortalité et tu l’auras quand même dans l’os, à moins que tu n’aies clamsé tout simplement par excès de trouille. Tu pourras toujours chanter à un guide suprême présidentiel, – « priez-le que tous nous veuille absoudre ! » (comme aurait dit Villon) – « tu es mon berger ô seigneur », en attendant le coup du sort funeste, histoire de rassurer tes arrières dans tes illusions occultes.

Et « gardez qu’Enfer n’ait sur nous seigneurie »

Mais méfie-toi de la fièvre moutonnière, cette terrible affliction. « Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous jours suyvre le premier, quelque part qu’il aille », comme l’a rappelé Rabelais.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

16 avril 2021