Caroline Grimm, Ma double vie avec Chagall

T’ai je dit, ô lecteur, que la peinture fait partie de mes incitations à la rêverie ? Ce 6 mai 2021 me réservait la découverte de la parution d’un ouvrage consacré au peintre Chagall – de son nom de naissance Moishe Zakharovich Shagalov -, artiste originaire de Russie qui m’a depuis longtemps enchanté lorsque, par la couleur, je ressens le besoin de percevoir l’au-delà des rideaux de grisaille.

Dans une démarche originale, Caroline Grimm dans Ma double vie avec Chagall accompagne l’artiste, redonnant corps à sa première femme, Bella, sa muse, tout en nous faisant vivre l’émergence de tableaux phares dans le déroulement de tout un destin.

Je me suis installé, dès le 7 mai, grand livre de l’éditeur Taschen consacré à l’artiste sous les yeux – avec toutes les limites de la reproduction des toiles – pour des allers-retours intermittents avec le récit de Caroline Grimm, tablette à la main (compromis de l’insularité). Très vite Chagall arrive à Paris, la fibre de son art est déjà en phase de déploiement ; il y trouve là une terre d’épanouissement alors que l’impressionnisme a largement bousculé les lignes et les couleurs. Je sens que je me régale déjà à retrouver les tableaux au fur et à mesure de leur évocation. Nous sommes à Paris, l’originalité de Chagall prend son envol, porté par une « sensibilité excessive et mystique » (Chapitre 2, la naissance), tendu vers « l’au-delà du visible immédiat. » (Chapitre 3, La chambre jaune) Et j’en profite pour bifurquer vers la lecture du poème écrit en octobre 1913 par Blaise Cendrars, devenu son ami. Qu’il fait bon jouer avec une rêverie en plusieurs dimensions, grâce à la plume de l’auteure dont on mesure la passion pour sa vision en « double vie ». Quant à moi, je me délecte ; on peut se construire son petit théâtre avec des livres pour une pièce en plusieurs actes qu’on pourrait appeler Ravissements.

T’ai-je dit, ô lecteur, que Chagall fait aussi partie des peintres qui m’ont impressionné ? Peut-être y ai-je retrouvé la quête insensée de l’insondable. Que de toiles où le violon est présent ouvrant la voie de la musicalité de la vie ! Couleur, musique et poésie dans la quête insatiable de l’essentiel, de la quintessence.

Les toiles se succèdent, dans des évocations riches de sensibilité. Chagall revit dans l’imaginaire soudain émulsé. Faute de voyager de musée en musée, le lecteur se laisse mener dans un jeu libre de recréation. Internet peut contrebalancer ce qui manque alors, faute de « l’émotion que procure la proximité physique (des) tableaux » (p.73) Mais nous sommes entrés, avec ce livre, dans une passion en convergence, celle de l’auteure du livre lui-même. Courts chapitres, denses, intenses, fenêtres de couleurs et démarche originale.

Et puis, me suis-je dit, au septième chapitre, est-ce que ce livre fait encore sens en faisant abstraction du regard, sans feuilleter l’ouvrage de Taschen, sans chercher les tableaux sur… la toile ? La réponse est oui, assurément, car Caroline Grimm redonne consistance au cheminement de l’artiste, au doute, au travail, voire à la douleur du processus créatif, à la complexité du « génie visionnaire ». On est là encore dans une autre dimension. Il suffit de donner libre cours aux interactions du possible, dans une belle « Invitation au voyage » pour emprunter un titre à Baudelaire. Car « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté »…

Suivre un artiste, c’est aussi plonger dans une grande page d’Histoire, surtout qu’elle recoupe de profonds bouleversements, à commencer par la première guerre mondiale, quand Chagall, Russe et Juif, retourne chez lui, par exemple. Puis survient la révolution bolchevique. Souffleront plus tard d’autres tempêtes.

Poésie, beauté, amour, déchirures, tourmentes, destinée, rencontres, tout se bouscule, l’art qui permet de tout transcender… La magie de l’écriture est là pour nous emporter.

Je te laisse, ô lecteur ; pas d’avion qui m’attend, pas de bateau non plus. Nous sommes sur l’aire du sur-place, à l’ère des cloisons étanches dans un monde déboussolé à cause d’un virus. Mais il suffit d’un livre pour rebondir dans un espace-temps de vie renouvelée.

Je te laisse. La muse de Chagall se met à parler. Etrange, non ? La magie du surnaturel, qui sait ?

Ma double vie avec Chagall… Sur la palette de la vie. Il fait si bon goûter ce que l’écriture peut sublimer. Bella, la muse de Chagall, est là, sous une plume…, longtemps après. Elle témoigne. « J’étais ton égérie de mon plein gré...» (chapitre XVII)

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

8 mai 2021

Caroline Grimm, Ma double vie avec Chagall – Editions Héloïse d’Ormesson 2021 – ISBN : 978-2-35087-768-6 – ISBN numérique : 9782350877709