Françoise Enguehard, Le maître de Conche

Après une pause dans les lectures romanesques, quoi de plus naturel pour un insulaire que de voguer à la découverte du dernier roman de Françoise Enguehard, Le maître de Conche.

La première de couverture retient le regard, un voilier près d’une côte, des falaises, des oiseaux de mer…

L’action se situe sur le French Shore, côté ouest de Terre-Neuve, à partir de 1816, paix enfin établie entre les belligérants français et anglais. Mais, là réside l’originalité, on ne suit pas des pêcheurs français, mais un militaire anglais, persona non grata, tout comme ses compagnons masculins, dans son propre pays. 

L’installation commence à Conche, dans une petite baie abritée. On peut penser, dans le récit des premières décisions, aux naufragés de Jules Verne sur l’Ile mystérieuse où ils vont tenter de s’établir, avec leurs outils et leurs compétences d’alors, conduit par un meneur d’hommes, James Dower, tout comme Cyrus Smith chez Jules Verne. Là s’arrêtent les similitudes car cette fois nous ne sommes pas dans un milieu clos. Les échanges avec le monde extérieur se poursuivent. Et le personnage principal est porté par une volonté de mettre en œuvre une communauté humaine qui sort des sentiers battus de cette époque.

La structure essentiellement linéaire du récit nous fait pénétrer dans le contexte de l’occupation progressive des sols sur la côte ouest, pêche à la morue oblige certes, mais avec aussi le déploiement vers une sédentarisation affirmée. Occasion nous est ainsi donnée de mesurer la dureté des temps, le clivage entre les possédants et les « miséreux affamés » (p.88) à Saint-Jean par exemple. C’était il y a deux cents ans.

Mais il fait bon se rendre compte que par-delà les grands défis de ce temps, la vie pouvait prendre des couleurs heureuses. Et c’est toute une palette de vécu que François Enguehard nous amène ainsi dans le sillage de son récit. Le French Shore, terme mythique dans notre environnement, se remet ainsi à vivre.

Surtout que rien n’est jamais acquis, comme le souligne la fin d’un roman qui fait émerger un pan d’une Histoire riche d’humanité… Il est aussi des témoignages qu’il est bon de méditer. 

Pour ouvrir encore le champ, l’auteure nous apporte des éclairages sur toute la démarche qui a ouvert la voie d’un récit très réussi.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

28 novembre 2022

Françoise Enguehard, Le maître de Conche – Editions Prise de parole – 2022 – ISBN : 978-2-89744-353-5

Disponible, à Saint-Pierre, à la librairie Lecturama