Il était une fois la chaise.

Elle se morfondait, la pauvre, sur son tableau de Van Gogh.

Aussi en arriva-t-elle, à faire un retour sur elle-même, dans un effort surhumain d’introspection.

Et de prendre conscience de son identité multiple.

Elle prit conscience d’être singulièrement détrônée au profit du fauteuil pour les positions bien assises. Elle réalisa même que chez certains de ces bénéficiaires on n’hésitait pas à pratiquer la chaise vide pour des dossiers trop sensibles.

Les bras lui en étaient tombés dès la première seconde, tant le retour sur soi peut être déstabilisant.

Elle se sentit ignorée, méprisée. Être ou ne pas être ? Comment être devant face aux derrières ? 

Pourtant n’était-elle pas antérieure à tout postérieur ? Une pour un ? Et de sourire à imaginer les culs entre deux chaises, ce qui la réconfortait dans son rapport unique, essentiel, à l’Homo Erectus.

Elle fut parcourue d’un grand frisson à la seule pensée de la chaise électrique, atteinte morbide à sa notoriété. Pourtant elle avait eu une part plus noble dans l’Histoire, du temps de la chaise percée à la cour de Versailles – pour ne citer qu’elle – à la chaise à porteur d’une société qui s’embourgeoisait. N’était-elle pas entrée dans son rôle essentiel au rythme des tables rondes qui seraient tombées par terre en son absence ? N’était-elle pas au fondement même de la démocratie ?

Elle soupira en se rappelant l’Histoire des Terre-Neuvas qui, du temps des gabiers et des calfats, connaissaient l’importance d’un nœud de chaise.

Elle eut une pensée pour ces temps de loisirs où l’on n’attendait plus d’elle que de n’être que chaise longue.

Pourquoi la méprisait-on en reprochant à tout marginal de mener une vie de bâton de chaise ?

Alors la chaise se replia au cimetière de la mémoire, au Père Lachaise précisément, là où elle avait ses repères avec tous les cannés.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

24 novembre 2023