Michel Tournier, La Goutte d’Or

Destin d’un livre collé. La colle sèche, les pages se détachent. Radiateur et soleil. Pourtant je relis ce roman qui m’avait beaucoup accroché, La goutte d’or de Michel Tournier. On entre dans l’ordinaire d’un jeune Berbère dans un village algérien isolé. Il y a ceux qui restent ; mais beaucoup d’autres partent, les jeunes notamment. Le jeune Idriss a le cœur nomade. Il suffira qu’une touriste française le prenne en photo avec la promesse de la lui envoyer pour qu’il parte vers… Paris.

Un bijou en forme de goutte symbole du passage à l’âge adulte quand soudain l’on s’en sépare. Mais la découverte de la vie des immigrés à Paris dans les années soixante-dix, quatre-vingt. Y a-t-il quelque chose de changé aujourd’hui ? Ce roman, alerte dans son écriture, subtil dans les observations, original dans ses péripéties, ouvre la voie de la réflexion. Quarante ans après il n’a rien perdu de sa pertinence dans la confrontation d’un migrant aux dures réalités d’un pays fantasmé.

Il est une scène, parmi d’autres, qui mérite d’être relevée. Le 21 mars 1969, Moammar El Kadhafi est prêt à renverser le roi Idris. Mais Oum Khalsoum, la voix de l’Egypte et de tout le monde arabe, chante ce soir-là à Benghazi, en Lybie. Les conjurés n’ont pas d’autre choix que d’assister au concert. Le coup d’état sera reporté de six mois. La survie de l’humanité serait-elle dans la voix qui chante ?

Dans ce roman, entre adolescence et âge adulte, il est une vitre qui se brise…

Henri Lafitte, Chroniques insulaires

10 mars 2024

Michel Tournier, La Goutte d’Or – Gallimard – 1985 – ISBN : 2-07-070572-2