Chronique du 21 janvier 2003

Ô temps ! suspends ton vol !
Que n’a-t-on ressassé cette vieille antienne !
Et voilà que « le temps n’existe pas », parce que des physiciens sont parvenus à l’arrêter, nous apprend Science et Vie dans son numéro de janvier 2003. De quoi bouleverser les mânes de Lamartine et l’espace-temps d’Einstein.

Tu te souviens du temps, ô lecteur quinquagénaire, où l’on annonçait l’actualité du jour sur les ondes de l’ORTF avec deux ou trois jours de différé ? N’avait-on pas le temps du recul nécessaire avant de s’extasier sur les dernières trouvailles de quelque ministre en mal de verbe ?

Que reste-t-il du temps quand aujourd’hui tu peux lire « merde alors » par le truchement d’Internet au moment où je viens de le frapper sur le clavier ? Cela ne nous condamne-t-il pas à confondre vitesse et précipitation ? Aussi me suis-je résolu à siroter mon whisky seize ans d’âge avec philosophie en entendant un journaliste de RFO annoncer, dans la foulée de ses collègues, au journal de Vingt Heures que trois apprentis luthiers de Saint-Pierre sont « en ce moment » en stage à Mirecourt, alors que pour l’un d’entre eux le stage est achevé depuis une semaine et qu’il en est de même pour les deux autres depuis la fin de la semaine écoulée. Le présent, me suis-je dit, n’est il pas après tout le passé qui se compose ? A condition que le temps existe, bien entendu.

De surcroît, comme le temps, c’est de l’argent, que ferions-nous s’il n’existait pas alors que sur l’Archipel on a l’impression que l’on tue paradoxalement le temps en attendant l’arrivée tant attendue du ministre de l’Outre-Mer ? Ne doit-on pas admettre que, sur les territoires éloignés, une telle personnalité ne peut que faire la pluie et le beau temps (fais gaffe au glissement sémantique), surtout si elle en parle en temps utile ? N’évoque-t-on pas au passage le temps de ministre qui prévaut la plupart du temps, outrage au temps insulaire ordinaire, à l’instar de la tempête qui a pris tout son temps pour se rire, d’une chiquenaude, des « de mon temps, il y avait de la neige ».

Entre temps, on vient de découvrir un manuscrit d’Edmond Rostand à l’Académie de Marseille, tout ça parce qu’une bénévole a pris le temps, en deux temps trois mouvements, d’ouvrir un tiroir fermé à clef, geste intempestif auquel le préposé titulaire, aujourd’hui décédé, ne s’était pas résigné au fil de ses quarante années de bons et loyaux services. « C’est étrange mais durant tout ce temps, personne n’avait cherché à le faire ouvrir », a déclaré le « secrétaire perpétuel » de l’Académie des sciences, lettres et arts de Marseille.

Par les temps qui courent, aussi bien savourer un temps mort, le derche sur un tas de neige en attendant qu’il fonde (le tas), si l’on veut se mettre à l’herbe demain.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
21 janvier 2003