Charles Aznavour, “Je Voyage”

Regard universel dans toute démarche humaine comme dans « Lisboa », la chanson d’ouverture, plus intimiste mais vécu tout autant universel pourtant comme dans « Je n’entends rien », le dernier album le Charles Aznavour révèle une nouvelle fois la maîtrise de l’artiste tant dans sa mise en forme musicale, chaloupée en ouverture et fermeture ou jazzy, très orchestrée le plus souvent dans la tradition française du music-hall avec force cuivres et violons, que dans les thèmes portés par la richesse de l’expérience. « Je voyage », sixième titre de l’album, donne le titre générique tout en définissant l’atmosphère dans le dialogue entre le père et la fille : « Dis que fais-tu l’homme au soleil sur ce banc / Le regard perdu sous tes cheveux d’argent » – « Tu es l’enfant d’entre les guerres / D’un monde cru en désarroi / D’hommes et de femmes de misères / Sous le joug du chacun pour soi ».

L’oreille est intriguée pourtant dans « La critique », 5è titre de l’album, un des plus accrocheurs dans son contenu et dans son rythme, alors que la ligne mélodique du refrain « La critique, la critique / On a beau dire au fond / Que l’on s’en contrefout / La critique, la critique / Vous détruit le moral et vous / en fout un coup », fait étrangement penser à « La bohème : : « La bohème, la bohème / Ça voulait dire : On est heureux / La bohème, la bohème / Nous ne mangions qu’un jour sur deux » D’ailleurs on peut sourire un bon coup alors que l’auteur fustige ceux qui « guettent dans l’ombre (…) Le moindre défaut », quand au détour d’un vers pointe une… liaison surprenante : « Du genre opiniâtre / Sont prêts à se battre » le « prêta » fusant comme un clin d’œil. Bon, ça arrive aux meilleurs et la chanson est de toute manière convaincante. Elle sera, c’est sûr, une de mes préférées.

Car l’auteur sait trouver les mots qui nous concernent, jusqu’au jugement dernier dans la chanson « Des amis des deux côtés » : « Que j’aille au ciel ou en enfer / je n’ai pas lieu de m’inquiéter / J’ai des amis des deux côtés ». On peut rêver de « voyages » en regardant les trains « Il y a des trains / Trains rutilants prêts à partir pour d’autres parts », se sentir « orphelin» de l’être aimé quand il est loin, s’éveiller à la vie « quand apparaît l’amour », faire un retour sur soi quand vient le moment « Où brûlent sans retour / ma vie et mes amours »..

Reste que la vie doit nous apprendre à nous méfier de ce qui peut paraître le plus anodin : « Des mots, des mots / Toujours des mots / Il faudrait se méfier des mots ». Une des chansons les plus réussies de l’album, certainement. Ce sera d’ailleurs là mon dernier mot.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
3 janvier 2004

Charles Aznavour, « Je voyage »
Capitol 7243 5960182 3
2003 EMI Music