Bonheur manouche

Imaginons que tes réminiscences musicales te font ressurgir subrepticement quelques notes de guitare aux accents swinguants (allez hop, un mot que mon dico me refuserait, merde alors) et étouffés de Django Reinhardt. Et te voilà dans le rayon manouche d’un disquaire jazzophile. Hasard du choix et tu ressors avec de petites merveilles dans le sachet plastique que malheureusement la nature ne peut reconvertir. Bon, tu feras gaffe la prochaine fois – les CD mais pas le sachet plastique s’il vous plaît.

Car pour les CD eux-mêmes, sûr que tu ne chercheras pas à t’en débarrasser. Et tant mieux s’ils te survivent, car tes descendants pourront profiter de la découverte. Ou un anthropologue, pourquoi pas, si tu n’as pas de descendance.

Il y a d’abord le CD de Romane et Stochelo Rosenberg, une rencontre entre deux guitaristes exceptionnels, complémentaires dans l’attaque de la corde, le swing et la nuance. Pas de répétition confortable certes, mais monotone ; non, que de nouvelles variations, de superbes phrasés mêlés de fougue et d’harmonie, alternance de compositions de l’un ou l’autre de ces deux brillants instrumentistes. Comment ne pas rentrer chez soi, seul sur le pavé d’une ville, sans trimballer douillettement ce « soir de trottoir » que tu auras cru déjà entendre, tellement il t’aura envoûté dès la première écoute. Deux guitares donc, et la contrebasse de Gilles Naturel. Quoi de plus naturel qu’un tel nom pour une soutenue si évidente ?

Puis tu te délectes avec le « Romane acoustic quartet » en compagnie de Pascal Berne à la contrebasse, de Fanto Reinhardt et Yayo Reinhardt, deux guitaristes qui t’assurent une rythmique sans faille, elle-même portée par la contrebasse et les créations toujours aussi diverses de Romane. Te voilà pris d’une « envie de bohème », emporté par une atmosphère guitaristique « orientissime ».

Clou de ta découverte, l’album de Jimmy Rosenberg, avec, pour lui donner la réplique, swinguer en chœur, Bireli Lagrene et Angelo Debarre, soutenus par la contrebasse de Svein Aarbostad. Un joyau de CD. Dix-huit titres pour 69’25 de ravissement. Et te voilà pris dans les cordes d’un guitariste – Jimmy Rosenberg – qui à l’âge de treize ans, avait déjà joué avec Jo Privat et Stéphane Grappelli, pour n’en citer que deux. Alors quand tu réalises au revers de la pochette que l’enregistrement aura saisi la fougue et le talent d’un jeune de dix-sept ans, tu en restes baba. Alors qu’il se retrouve avec deux autres grands du « gyspsy swing moderne », comme tu peux le lire dans le livret, tu ne touches plus terre. Bonheur intégral quand les soucis ne sont plus là parce que tu te trouves emporté dans une déferlante joyeuse et dynamique et que ça fait du bien.

Trois disques d’un coup, me diras-tu ? Ah ! J’aurais dû me mettre en quatre, c’est vrai ça.

Henri Lafitte, Chroniques musicales
19 mars 2004

Romane et Stochelo Rosenberg, « Elégance », Iris Music 2000 – 3001 836

Romane Acoustic Quartet, Iris Music 2002 – 3001 862

Jimmy Rosenberg avec Bireli Lagrene et Angelo Debarre – Hot Club Records HCRCD 117