Eric Toulis, “Soyons classe”

Il est des modes musicales ; le rythme du « Poum – Tchak » en fait partie, à croire que tous les artistes de la chanson française se donnent le mot pour écrire au son des influences manouches. Cela pourrait être source de lassitude ; l’antidote reste la qualité, voire la variété au fil d’une série de chansons fixée sur une galette. Alors, je te le dis, Eric Toulis m’a fait peur l’espace d’un instant, accroché, emballé. « Soyons classe », dit-il en exergue sur son album. Le résultat est à la hauteur.

Première chanson pour dire la joie du matin en se laissant porter par un petit air. La mise en forme est parisienne, dans l’instrumentation et les thèmes évoqués, mais tout peut se transposer. Là, tu peux ainsi échapper au « bouchon », sur nos îles, à la brume. La « poule aux bijoux », elle, te renvoie aux chansons de Jamait, de Sanseverino, fort bien troussée. Evocation de la « tour Eiffel », dans le troisième titre, registre musical jazzy, fin dans les nuances. Belle évocation ensuite des « cloches » avec des images qui transcendent les hommes dans leur misère : « Traîner leurs guêtres dans le ciel / Au grand comptoir universel / Pourvu qu’les canons soient gratuits au paradis »

Ah ! Trouver des idées pour créer encore, l’obsession de tout artiste ! La démarche « au coin de la nappe » est originale, dans une chanson où des voix différentes – celles de Bénabar, Sanseverino, Charles Dumont, Christian Olivier des Têtes raides, charlotte (la minuscule « c’est fait exprès ») entre autres – interviennent tout à tour, masculines ou féminines, apportant chacune leur écot. Puis une belle réussite dans l’évocation de « La dame pipi » sur un rythme de java. Formules enlevées : « Marrez-vous mais quand ce sera l’heure / Je vais me faire un paquet de flouze / En éditant à compte d’auteur / L’intégrale de toutes ces perlouzes ». Hommage aux femmes, ensuite, comme un clin d’œil aux « passantes » d’Antoine Pol ou de Brassens, si tu veux : « La plus jolie de toutes les femmes / Messieurs il faut avouer que c’est la vérité / Parmi toutes celles qui nous enflamment / Il y a surtout la femme des autres ». Puis un « blues » à la clef, celui du trompettiste. Et, soudain, une autre chanson, une perle, de celles qui te laissent subjugué sous le charme de la découverte, Eric Toulis s’étant penché sur « le piano du Queen Elizabeth II » : « Vous n’auriez pas une bassine / Que j’évacue mes vieilles angoisses / Je vais vomir Blueberry bile… » ; « Mais il a fallu que j’embarque / Et qu’aux galères on m’expédie / Bosser sur une énorme barque / Flottante clinique à gériatrie ». Pauvre piano ! Et puis trois autres chansons encore où chaque fois se déploie le plaisir d’une écriture jazzy, soutenue par des musiciens de grande qualité. Le CD est enregistré avec brio, la voix d’Eric Toulis est chaude, elle te captive ; l’ensemble est riche d’une belle harmonie.

Sans doute ce disque fait-il partie de mes plus belles découvertes des derniers mois. La pochette est agréable – la qualité d’un CD inclut cette importante dimension -, les textes sont en surimpression sur fond d’illustrations, ici un transistor, là un panneau d’affichage, ou encore un gâteau de mariage. « Soyons classe », affichait l’artiste ; le CD est très « classe », convenons-en.

Henri Lafitte, Chroniques insulaires
5 août 2006

Eric Toulis, Soyons classe, Mosaic Music, 2006

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Site d’Eric Toulis

CD disponible sur les sites FNAC, AMAZON…